Fatima [1]Nom d’emprunt est une femme ouïghoure âgée d’une vingtaine d’années de la préfecture de Kashgar dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Elle a été forcée d’assister à des séances quotidiennes d’éducation durant plusieurs mois dans un « centre de rééducation ». Tout a commencé après son retour de la Turquie où elle a fait des études.
Lors d’une récente interview en exil, Fatima a déclaré qu’elle avait été arrêtée pour avoir étudié dans un pays qui se trouvait sur la liste noire du gouvernement chinois. Pour le gouvernement chinois, la Turquie, comme l’ensemble des pays musulmans, représente une « menace apparente d’extrémisme religieux ». Dans une interview avec RFA (Radio Free Asia), Fatima a décrit l’horreur et les sévices qu’elle a subis dans ces centres qui visent à faire apostasier et acculturer les musulmans de Chine.
LES 23 TYPES D’ACTIVITÉS RELIGIEUSES ILLÉGALES
RFA : Comment avez-vous été traité par les autorités chinoises après votre retour de la Turquie ?
Fatima : Au début, je devais me présenter une fois par semaine au poste de police et les informer de toutes mes activités. En dehors du comté de Kargilik (Yecheng), je ne pouvais aller nulle part. Si je me rendais chez quelqu’un, je devais informer les autorités à l’avance… On m’a dit que je ne pouvais aller nulle part en dehors de Kargilik et que si je le faisais, ma carte d’identité les avertirait… Il y a des barrages partout que les gens doivent traverser avec leur carte d’identité… Ils m’ont dit que si ma carte d’identité les signalait, je serais placé dans au camp de rééducation.
Un jour, ils m’ont dit : « Maintenant, nous éduquons tout le monde et toi aussi tu devrais refaire ton éducation. Tu dois être très prudente. Nous essayons de t’aider… Il te suffit de rester à la maison et d’interagir uniquement avec tes proches. » J’ai dit que je le ferais et c’est ce que j’ai fait.
Pendant ce temps, je n’allais qu’une fois par semaine au centre de rééducation pour des études politiques. Le rez-de-chaussée était réservé aux parents des personnes dans les camps de rééducation… Pendant des heures, les gens y lisaient des livres ou écrivaient ce qu’ils entendent…
Je devais lire des livres de 7 h à 18 h. Tout tournait autour de la politique et principalement autour du président Xi Jinping. Il y avait des articles qui décrivaient la situation dans notre ville et d’autres qui portaient des titres comme « Les 23 types d’activités religieuses illégales ». Dans le centre, il y avait aussi des écoliers dont personne ne s’occupait.
ENDOCTRINEMENT QUOTIDIEN DE 8 H À 18 H
Fatima : Un jour au mois de septembre, j’ai reçu un appel téléphonique à 7 h. On me demandait de venir au centre un jour où je n’étais pas censé être là… La secrétaire du parti avait demandé à une femme de m’emmener en moto pour me déposer quelque part devant un bâtiment.
La porte d’entrée ressemblait à une porte de prison. Il y avait deux agents des forces spéciales lourdement équipés et armés, tous vêtus de noir. Arrivée à l’entrée, ils m’ont enlevé les chaînes avec lesquelles on m’avait attaché. On m’a placé dans une salle avec d’autres personnes. La plupart d’entre eux étaient de riches musulmans, des personnes qui avaient fait le pèlerinage à la Mecque, des intellectuels ou des personnes qui étaient connus pour voyager en dehors de la Chine.
Je me situais maintenant dans un établissement « d’éducation ouverte » où les détenus étaient traités de façon brutale. Ils nous disaient toujours : « Nous prenons soin de vous et nous avons ouvert ce centre pour vous empêcher de prendre le mauvais chemin. Si vous entrez en contact avec une personne malade, vous serez également infecté. C’est pourquoi vous devez considérer votre emprisonnement comme une séance de traitement pour soigner votre infection. Cet hôpital est entièrement gratuit. Il faut que vous étudiiez ici tous les jours de 8 h à 18 h. Vous rentrerez chez vous lorsque nous vous autoriserons à rentrer chez vous. »
Un jour, on m’avait ordonné de faire le ménage… Le responsable m’a dit très agressivement : « Si tu ne nettoies pas les fenêtres, je t’enverrai dans un endroit ou tu souhaiteras que tu m’avais obéi »… J’ai dit : « Mais quel est cet endroit ? Je n’ai rien fait de mal. » Il a répondu : « Si tu n’as rien fait de mal, alors pourquoi es-tu ici ? Tu ne réalises même pas ce que tu as fait ? » En gros, il disait que nous étions des criminels… Il m’a dit : « Tu penses que t’es courageuse, hein ? » Il a fait un appel téléphonique et peu après j’ai entendu la sirène d’une voiture de police… On m’a embarqué dans la voiture de police pour m’emmener directement à un camp de rééducation fermé.
« POUR LA PREMIÈRE FOIS DE MA VIE, J’AI SOUHAITÉ LA MORT »
Fatima : Les centres de rééducation ne peuvent pas être reconnus de l’extérieur. Il est impossible de reconnaitre de quel type d’endroit il s’agit. Avant mon incarcération, j’étais passé plusieurs fois à côté d’un de ces centres, mais je n’avais jamais réalisé que c’était un centre de rééducation. L’endroit ressemble à une maison ordinaire d’Ouïghours dans un quartier ouïghour, avec de grandes portes à l’avant et une grande cour avec des vignes. Personne ne pourrait penser que c’est un centre de rééducation. Ils le gardent si secret que les gens de la communauté ne savent même pas ce qu’il s’y trouve à l’intérieur. Les gens savent qu’il y a ce genre d’endroits, mais personne ne sait où ils se trouvent.
On m’a donc fait entrer dans ce centre. La première chose que je voyais était les barbelés. Je n’avais jamais vu de prison dans ma vie, mais quand je suis entré là-bas, c’était comme une prison. Les gardes étaient armés et avaient des matraques électriques… Une enseigne indiquait que la police locale ne pouvait pas s’approcher de l’établissement et que s’ils le faisaient, ils seraient accusés d’espionnage.
Un policier, qui avait plus l’air d’un agent des forces spéciales, m’a attrapé au cou et m’a soulevé du sol en me criant dessus… Je n’ai jamais été traité comme ça… J’ai éclaté en pleurs… Un autre m’a attrapé par la nuque et m’a traîné par terre… L’un d’eux m’a montré un grand bâton et m’a menacé en disant : « Si tu ne restes pas immobile, je te tabasserai avec ça ! »
Après avoir été debout durant un certain temps… mes mains ont commencé à trembler fortement. Puis quelqu’un m’a fait asseoir. Je me suis assis pendant environ deux heures. Puis mes jambes ont commencé à trembler… Ensuite, ils m’ont forcé à rester debout durant une longue période. Je ne tenais plus sur les jambes et j’ai eu des contractions dans les muscles. J’étais tellement mal à l’aise et tellement gêné. Tout le monde pouvait me voir. On m’humiliait devant toutes les personnes qui étaient là pour la rééducation… Pour la première fois de ma vie, j’ai souhaité la mort. Là-bas, à ce moment-là, je souhaitais que ma vie prenne fin.
Ensuite, ils ont amené une « chaise du tigre » à laquelle ils m’ont attaché… Vers 18 h, ils m’ont amené dans une pièce de 40 mètres carrés où se trouvaient environ 60 femmes détenues… La plupart d’elles étaient là pour des raisons religieuses. Certaines d’entre elles étaient mariées à des hommes qui ont fait le pèlerinage à la Mecque, tandis que d’autres s’étaient couvert leurs cheveux ou avaient porté de longs vêtements religieux… J’ai vu beaucoup de mères qui ne pouvaient plus supporter le fait qu’elles soient séparées de leurs enfants. Le soir, les gens qui vivaient dans le quartier disaient aux enfants d’aller jouer autour du centre… Les enfants disaient à voix haute : « Maman, je chanterai cette chanson pour toi… » ou « Je vais bien et je veux que tu prennes soin de toi »… C’est ainsi qu’ils faisaient passer des messages.
L’UNITÉ ETHNIQUE, LE « TAWHID CHINOIS »
RFA : Comment se déroulait votre journée au centre ?
Fatima : Ils ouvraient les portes à 7 h et nous nettoyons la chambre jusqu’à 8 h. Après cela, nous devions nettoyer le camp… Ensuite, on prenait le petit-déjeuner. Nous devions courir pour aller chercher la nourriture. Ils nous criaient dessous et nous disaient de faire la queue. Mais avant le petit-déjeuner, nous devions réciter des chants tels que « Sans le Parti communiste, la nouvelle Chine n’existerait pas ». Après avoir chanté, il nous était permis de manger.
Après le petit-déjeuner, nous écoutions l’annonce des activités et des procédures de la journée. Les employés commençaient à arriver à ce moment-là. Seuls les agents des forces spéciales restaient avec nous durant la nuit pour nous surveiller, mais les autres rentraient chez eux le soir et revenaient le lendemain comme s’il s’agissait d’un lieu de travail normal. Les gens des forces spéciales ne sont autorisés à sortir qu’une fois par mois.
Les enseignants venaient aussi à ce moment-là. Ils étaient envoyés par le département de propagande de la préfecture… Nous avions un enseignant le matin et un l’après-midi. Chaque cours dure une heure… L’enseignant nous parlait des lois, de la constitution du pays, du système juridique, etc.
L’une des enseignantes était une dame âgée. Elle semblait se concentrer sur la condition psychologique des personnes… Elle semblait comprendre les sentiments des gens et a même dit : « Je me sens mal pour vous. Vous êtes des femmes tellement belles enfermées ici alors que vous êtes censés être libres, vous marier et prendre soin de vos familles. Mais si vous êtes ici… c’est parce que vous avez toutes fait des erreurs. »
Un enseignant nous avait tous appris sur l’unité ethnique. Il disait que le développement et la prospérité du Xinjiang étaient dus au peuple chinois. Il a dit que la culture chinoise est une culture développée et que nous devons en tirer des leçons.
RFA : Y a-t-il eu des violences corporelles ?
Fatima : Oui, ils battaient les hommes avec des battes. La plupart du temps, ils utilisaient les matraques électriques pour battre les gens. Un jour, un jeune homme portait de beaux vêtements blancs. Ils l’ont battu tellement fort qu’il ne pouvait plus se lever ni même bouger. Plus tard, je l’ai vu assis dans la chaise du tigre dans laquelle j’étais assise.
Pour les femmes, si leur chambre était sale ou en désordre… ou si l’un des soixante lits n’était pas bien fait, nous étions toutes punis en même temps. Ils nous ont fait faire des exercices. Il y avait parmi nous des femmes âgées qui ont été maltraitées et poussées brusquement. Je ne les ai pas vus battre de femmes, je les ai uniquement vus battre les hommes. Surtout s’ils étaient plus jeunes.
« EST-CE QUE TU PRIES ? »
RFA : Comment êtes-vous sorti de là ?
Fatima : Une nuit, ma mère est venue avec ma tante. Ils ont crié mon nom et je suis sortie. J’étais tellement heureuse de les voir. Je priais pour que quelqu’un me sorte de cet endroit et j’espérais que ce soit ma mère… Elle avait parlé à des fonctionnaires de la préfecture et avait demandé ma libération… Ils lui avaient permis de venir me rendre visite. Elle a dit que quelqu’un de la préfecture viendrait me voir le lendemain en disant : « J’ai essayé de toutes mes forces. Maintenant, tu dois être intelligente lorsque tu le rencontres. Quand tu parles avec lui, utilise ton intelligence et pas tes émotions. »
Le lendemain, un fonctionnaire du gouvernement est venu me voir. Il m’a dit : « J’ai entendu que tu as été très bien éduqué ici, mais as-tu réfléchis à la raison pour laquelle on t’a enfermé ? » Je lui ai dit que je ne savais pas pourquoi j’étais détenu.
Il a demandé mon avis sur la politique du gouvernement. Il a dit : « tu dois me convaincre que si je te libère d’ici, tu ne causerais aucun problème. Il serait inacceptable qu’au futur tu fasses quelque chose qui portera atteinte à toi et ta famille.
La première question qu’il a posée était « est-ce que tu pries ? » J’ai dit non. Il s’est ensuite levé et a commencé à se diriger vers la sortie de la pièce en disant : « Reste au centre, tu as besoin de t’éduquer encore plus. » J’ai dit : « Attendez, nous venons juste de commencer. » Il a dit : « Non, tu m’as menti et tu es une mauvaise menteuse… Si tu dis que tu ne pries pas, personne ne te croira. Dis-moi la vérité. Je ne suis pas venu ici pour écouter des mensonges… Dis-moi la vérité. Est-ce que tu pries ? » J’ai dit : « Oui… mais je ne prie qu’une fois par jour… Ma famille n’est pas religieuse. »
Il a dit : « Maintenant, sais-tu pourquoi tu es ici ? » J’ai répondu : « Je pense que c’est parce que j’avais étudié pendant de nombreuses années et parce que je pouvais être impoli envers les fonctionnaires locaux. Mon comportement était arrogant, mais j’ai corrigé mes défauts. »Il a dit : « C’est mieux. Nous n’avons peut-être pas voyagé à l’étranger comme toi et nous ne sommes pas allés à l’école supérieure, mais nous savons ce que nous faisons. C’est grâce à nous que le comté de Kargilik est devenu ce qu’il est aujourd’hui. »
Il m’a dit de retourner en classe et de poursuivre mes études. Je suis retourné en classe et mes yeux étaient gonflés à cause des pleurs. Le professeur semblait surpris de me voir, comme s’il pensait que je ne reviendrais jamais. Il m’a demandé de parler de mon expérience dans le camp, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Au moment où j’avais fini, ils m’ont rappelé et ont dit que la voiture était arrivée pour mon départ.
Après mon départ, ils m’ont ramené dans les locaux « d’éducation ouverte ». Les personnes présentes m’ont souhaité la bienvenue et m’ont dit que j’avais eu de la chance de sortir de cet endroit. Chaque jour, nous regardions des documentaires sur les Ouïghours qui ont fui en Thaïlande et qui exprimaient leurs regrets… Et chaque lundi, nous devions hisser le drapeau chinois et prêter un serment d’allégeance en disant : « Nous sommes les successeurs du communisme. Nous servons notre pays, notre nation et notre drapeau »[2] Source: https://www.rfa.org/english/news/special/uyghur-detention/interview2.html.
Références
↑1 | Nom d’emprunt |
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↑2 | Source: https://www.rfa.org/english/news/special/uyghur-detention/interview2.html |