Lors de ma deuxième audition devant les magistrats de l’Organe de Recours du Comité I[1]Également appelé le « Comité R », ce comité est chargé de surveiller les services de renseignement en Belgique., j’ai pu livrer ma plaidoirie finale. Les juges avaient, à ce stade, déjà soigneusement étudié la note détaillée[2]Voir « Censure et repression : Gérald Darmanin porte plainte contre Kareem El Hidjaazi ». que j’avais rédigée en réponse aux deux rapports diffamatoires des RG et bien saisi mon innocence.
Lors de mon discours, j’ai exposé l’inégal traitement des affaires par les services de renseignements qui semblent avoir deux poids, deux mesures. Cela se traduit par un traitement bien plus sévère envers un musulman critiquant l’islamophobie d’État en France, qu’envers un terroriste d’extrême droite menaçant de faire sauter une mosquée. Mes propos avaient plongé les magistrats dans une réflexion profonde tandis que pour les renseignements généraux, c’était le coup de grâce.
Voici la plaidoirie finale que j’ai prononcée devant les trois magistrats (audio et texte) :
Messieurs les magistrats,
Dans ma plaidoirie finale, je souhaite établir une comparaison entre la façon dont le terroriste d’extrême droite Jürgen Conings et moi-même avons chacun été traités par les services de renseignements.
Jürgen Conings était un soldat d’extrême droite bien entraîné qui figurait sur la liste de l’OCAM, l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace. En février 2021, Conings avait ouvertement annoncé qu’il projetait de commettre des attentats contre le virologue Marc Van Ranst ainsi que contre une mosquée au Limbourg. Malgré une première sanction disciplinaire pour ses idées d’extrême droite, il a néanmoins été autorisé au poste de gestionnaire des dépôts de munitions et d’armes dans la caserne militaire de Leopoldsburg. C’est ainsi que Jürgen Conings a pu s’enfuir avec quatre lance-roquettes, un pistolet mitrailleur automatique et un pistolet 5 mm en mai dernier sans que cela ne pose le moindre problème.

Après la fuite de Conings, le porte-parole du syndicat militaire, Yves Huwart, a déclaré que « si les faits sont avérés, l’avenir de Conings à l’armée semble incertain ». Cela signifie qu’après l’escapade de Conings avec cet arsenal, on n’était toujours pas sûr qu’il faille licencier ce militaire qui avait pourtant menacé de commettre des attentats ciblant notamment une mosquée.
En ce qui me concerne, je n’ai, contrairement à Jürgen Conings, jamais incité à la haine, jamais partagé d’idéologie extrémiste et jamais menacé quiconque. Contrairement à Conings, j’ai toujours dénoncé les différentes formes de racisme et ironiquement, c’est justement pour cette raison que j’ai perdu mon emploi et que je me trouve aujourd’hui devant vous.
C’est bien parce que j’ai critiqué le racisme d’État français, tout comme l’ont fait de nombreux chercheurs ainsi que des organisations internationales des droits de l’homme avant moi, que j’ai reçu une interdiction de travail prenant effet immédiatement. Je n’ai pour ma part pas bénéficié du luxe d’un « avenir qui semble incertain » de la part des services de renseignements. Ce sont d’ailleurs précisément ces mêmes services qui se sont montrés extrêmement bienveillants envers Jürgen Conings et qui ont minimisé sa menace à tel point qu’il a pu s’échapper avec des lance-roquettes et des pistolets. Quant à moi, les renseignements généraux ont préféré exercer une répression catégorique à mon encontre. Dans son rapport, l’analyste des RG a tout fait pour me présenter comme un extrémiste radicalisé. Il a violé toutes les règles de la déontologie professionnelle, oubliant qu’il devait garantir une certaine objectivité et véracité.
Ce traitement inégal témoigne d’un problème systémique au sein de nos services de sécurité. De dangereuses personnes radicalisées d’extrême droite qui figurent sur la liste de l’OCAM peuvent continuer à travailler tout en ayant accès à des armes lourdes alors que des musulmans pratiquants qui ont un emploi ne comportant aucun risque, qui dénoncent explicitement le terrorisme et le racisme et qui font de la déradicalisation perdent leur emploi sans motif sérieux.
Les radicaux d’extrême droite qui menacent de commettre des attentats devraient être sévèrement sanctionnés tandis que les musulmans innocents qui pratiquent paisiblement leur religion ne devraient nullement être inquiétés. C’est ainsi que les choses devraient se dérouler, et non l’inverse. Cependant, cette approche objective et équitable de la menace radicale n’est possible que si les services de sécurité subissent un changement profond. Ceux-ci, qu’on le veuille ou non, doivent être purgés des agents, inspecteurs et analystes incompétents et racistes qui institutionnalisent la discrimination à l’égard de certaines populations ciblées vivant dans ce pays.

Les personnes qui travaillent au sein des services de sécurité sont le reflet de notre société. Cela veut dire qu’il y aura inévitablement des racistes parmi eux, des islamophobes, des antisémites, voire même des suprémacistes.
Les services de sécurité enquêtent effectivement sur les radicaux d’extrême droite au sein de plusieurs services de l’État, bien que ce soit de manière très laxiste, mais qui enquête sur les radicaux d’extrême droite ou sur les racistes antimusulmans au sein des services de sécurité ? Comment garantir qu’au sein des renseignements généraux il n’y ait pas d’agents endoctrinés par la propagande islamophobe française qui préfèrent fermer les yeux sur leurs collègues radicalisés à l’armée pour ensuite verser toute leur haine sur d’innocents musulmans pratiquants ?
Messieurs les juges, je vous remercie pour votre attention.
LE PRÉSIDENT DU COMITÉ I DÉNONCE — ENFIN — LE RACISME AU SEIN DES RG
Il y a presque de trois semaines, le président du Comité I, Serge Lipszyc, a donné une interview fracassante dans laquelle il dénonce le racisme au sein de l’armée et des renseignements généraux belges. Il semble ainsi confirmer les critiques que j’évoquais dans ma plaidoirie finale.
Dans l’interview en question, Lipszyc s’est longuement penché sur l’affaire Jürgen Conings qui n’a pas été suivi sérieusement par sa hiérarchie ou les services de renseignements. Il évoque aussi l’ampleur considérable des idéologies d’extrême droite au sein de ces services, un problème qu’il juge bien plus profond qu’il ne le paraît :
Il y a d’autres militaires d’extrême droite qui constituent une menace plus directe. Je pense qu’il y a des structures au sein même de la Défense qui cultivent des militaires extrémistes. La gangrène, la sclérose est de plus en plus volumineuse.[3]« Serge Lipszyc, entretien classifié avec le gendarme des services secrets », Wilfried, n° 17, automne 2021.

Selon le directeur du Comté I, le racisme au sein des RG belges existe de longue date :
Si vous faites un peu d’archéologie, vous verrez que les patrons des services de renseignements entretenaient une proximité excessivement dangereuse avec l’extrême droite avant même l’affaire des Tueurs de Brabant (de 1982 à 1985). C’est d’ailleurs ce qui a provoqué la création de comités de la police (Comité P) et des services secrets (Comité I).[4]Ibid.
Serge Lipszyc a également eu le courage de dénoncer les deux poids, deux mesures des services de renseignements qui sont connus pour être bien plus sévères envers les musulmans qu’envers quiconque d’autre :
Si Jürgen Conings s’était appelé Mustafa, je pense que les choses se seraient déroulées autrement. Un certain nombre d’éléments permettent de croire que dans les différentes strates de l’État belge, il y a une volonté de favoriser des mouvements extrémistes, notamment d’extrême droite. […] N’y avait-il pas des gens au sein même de la structure de l’État qui avaient intérêt à ce qu’on ne le retrouve jamais ? Depuis, le dossier de Jürgen Conings n’avance pas, alors qu’il est tellement important.[5]Ibid.
Le directeur du comité chargé de suivre et contrôler les services de renseignements a ainsi jeté un premier pavé dans la mare. D’autres suivront très probablement.
PURIFIER LES RG DU PERSONNEL RACISTE
Les propos de Lipszyc ne sont pas seulement courageux, mais aussi extrêmement importants si un jour les autorités belges souhaitent résoudre le fléau du racisme institutionnel au sein des services de renseignement.
En Belgique, comme en France, trop de musulmans ont subi une mort sociale sans pouvoir réagir. Trop de vies ont été détruites, trop de carrières ruinées et trop de talent gâché.
Peut-être est-il temps de mettre fin à l’impunité des services de renseignements qui, sous couvert d’une lutte contre la « radicalisation », persécutent des musulmans innocents de tout crime, si ce n’est leurs croyances et leurs pratiques religieuses.
Qui sait, peut-être que le temps est venu pour exiger le licenciement des fonctionnaires d’État racistes au sein des renseignements généraux qui, de par leur parti pris et leur incompétence flagrante, mettent en danger le pays qu’ils prétendent défendre.
SUR LE MÊME SUJET:
“Censure et repression : Gérald Darmanin porte plainte contre Kareem el Hidjaazi”
Références
↑1 | Également appelé le « Comité R », ce comité est chargé de surveiller les services de renseignement en Belgique. |
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↑2 | Voir « Censure et repression : Gérald Darmanin porte plainte contre Kareem El Hidjaazi ». |
↑3 | « Serge Lipszyc, entretien classifié avec le gendarme des services secrets », Wilfried, n° 17, automne 2021. |
↑4 | Ibid. |
↑5 | Ibid. |