Les États-Unis ainsi que l’Europe ont, durant plusieurs générations, largement bénéficié de la main d’œuvre importée. Cependant, les membres de la nouvelle classe ouvrière furent seulement appréciés pour le travail qu’ils accomplirent, non pour qui ils étaient. Jusqu’à ce jour, ils sont – ainsi que leur descendance – toujours considérés comme le problème d’une France qui souhaiterait les voir dans leur pays d’origine, mais qui a trop besoin d’eux pour pouvoir les mettre à la porte. À son époque, Malcolm X dénonça la posture coloniale dans laquelle on exige du respect de l’« Autre » sans vouloir soi-même respecter cet « Autre » :
« L’Amérique a un sérieux problème. Non seulement a-t-elle un sérieux problème, mais notre peuple aussi a un sérieux problème. Le problème de l’Amérique, c’est nous. Nous sommes son problème. La seule raison pour laquelle l’Amérique a un problème, c’est qu’elle ne veut pas de nous ici… Moi, je crois au traitement équitable pour tout le monde, mais je ne vais pas perdre mon temps à bien traiter quelqu’un qui ne sait pas comment rendre le traitement. »[1]Malcolm X, discours du 10 novembre 1963 à Détroit (Michigan) et du 12 décembre 1964 à New York.
L’islam traditionnel est devenu le pire cauchemar des médias, des islamologues et de toute la classe politique française. L’apartheid religieux en France se justifie principalement par une critique sur la façon dont les musulmans s’habillent. Les femmes voilées et les hommes barbus en tenue islamique sont déclarés persona non grata alors que des lois islamophobes sont votées pour supprimer leur image absolument insupportable dans l’espace public.
En expliquant le phénomène paranormal de l’habillement islamique, les islamologues soutiennent que les musulmans s’habillent ainsi « parce qu’ils ne veulent plus être liés à leur ancien environnement ». Or, c’est tout à fait le contraire ; c’est leur ancien environnement qui les a recrachés comme le noyau d’une datte que la société française n’a pu digérer. Les musulmans qui s’habillent, se comportent et pensent islamiquement n’ont donc certainement pas plus rompu avec leur société que leur société n’a rompu avec eux.
Mais pourquoi alors s’habillent-ils ainsi ? Certains « spécialistes » de l’islam estiment que leur but premier est d’affirmer ostentatoirement qu’ils n’appartiennent pas aux temps modernes. En gros, on aurait à faire à des Homo sapiens archaïques qui sont fiers d’être arriérés. Il s’agit, une fois de plus, d’une allégation à dormir debout. Leur tenue indique plutôt qu’ils sont des « penseurs indépendants » qui ont le courage de maintenir leur identité en contrebalançant la tendance « universelle » d’une monoculture occidentale incapable d’accepter le musulman dans son intégrité. Après que le tsunami des valeurs occidentales a dévasté les coutumes et mœurs dans de nombreux pays africains et asiatiques, la « modernité » est devenue synonyme du port de la cravate ou du décolleté. Non, les musulmans pratiquants ne fuient pas la modernité, ils ne la conçoivent seulement pas comme étant liée à la culture occidentale ou aux apparences des « blancos ».
Cette décolonisation culturelle par un retour à l’identité et aux valeurs d’origines, fut aussi existante dans la communauté afro-américaine des années soixante[2]Ce fut l’époque de la « Black Pride » où apparurent les coupes afros, etc.. Quelque temps après son retour du pèlerinage à la Mecque, Malcolm X fut demandé par un journaliste blanc pourquoi il laissait désormais pousser la barbe. Dans sa réponse, le prédicateur fit preuve de grande sagesse :
« L’effort des Noirs en Amérique pour se défaire des chaines de la colonisation mentale se reflète dans leur désir de se débarrasser des chaines de la colonisation culturelle. Ainsi, ils se mettent à exprimer leur propre volonté avec leurs propres normes. »[3] Malcolm X, « Malcolms X’s famous speech after returning from Mecca ».
Une critique fréquemment formulée par l’Arabe occidentalisé est que s’habiller islamiquement équivaut à un comportement rétrograde de musulmans qui refusent de se conformer au règlement vestimentaire imposé officieusement par l’État français. Ils estiment que le port du voile date du Moyen-Age, mais oublient souvent que se promener nu date de la préhistoire. Dû à leur profonde inculture historique, religieuse et culturelle ils considèrent la Sounna prophétique comme une relique du VIIe siècle et, de là, perçoivent les musulmans orthodoxes comme de vieux schnocks. Pour ces derniers, le beur acculturé possède un manque sidérant d’identité et de conscience religieuse qui se traduit par un suivi aveugle des coutumes occidentales.
Pour le musulman instruit, l’islam englobe tous les aspects de la vie et prescrit aux musulmans leur façon de s’habiller, de penser, de se comporter et d’adorer leur Créateur. Ils n’ont donc nullement besoin des valeurs morales, culturelles ou politiques de leurs anciens colonisateurs. Ce nouveau dilemme vestimentaire agite vigoureusement le processus d’acculturation en France. Les Français ne veulent plus voir de tuniques islamiques, de burqas ou de barbes « islamistes » dans les rues, mais prétendent tout de même vouloir maintenir la liberté de religion dans leur pays. Il devient impossible de trancher sur la « question musulmane » en France, car son gouvernement ne peut entièrement interdire l’islam sur le sol français, ni ne veut décréter illégale l’islamophobie.
Lisez la suite dans “Malcolm X, Discours aux Cités de la République.”