Les mots peuvent informer, désinformer tout comme ils peuvent enflammer esprits et pays. Ils peuvent condamner un mal d’une part et justifier différentes formes de discrimination de l’autre. Bien avant Georges Orwell, les savants de l’islam au passé avaient déjà clarifié le danger de la manipulation des mots pour égarer les masses. C’est un thème qui revient fréquemment dans les écrits de Sheikh al-Islam Ibn Taymiya ou encore dans ceux d’Ibn Hazm qui, il y a dix siècles, a écrit :
Le fléau majeur (c.-à-d. l’égarement) s’est installé chez les gens par l’infiltration d’homonymes qui ont permis d’entrelacer les termes vis-à-vis des significations qu’ils dissimulent. C’est ainsi que les prêcheurs du mal, de la perversion et du sophisme ont réussi à prendre contrôle des gens et qu’ils ont réussi à les embrouiller. C’est pourquoi, dans nos livres, nous avons toujours insisté sur l’importance de différencier les significations (des mots).[1] Source: « Al-Ihkam fi Ousoul al-Ahkam », 6/235.
Aujourd’hui, ce sont les « spécialistes » de l’islam qui appliquent le raisonnement sophiste pour désinformer les gens sur les musulmans et leur religion. Avec leurs termes tellement insolites, ils ont réussi à contrôler et à embrouiller les masses. Voilà pourquoi il est d’une importance capitale pour les musulmans de ne pas céder la place aux incompétents et de s’imposer comme référence dans le champ de bataille sémantique.
Dans plusieurs pays, les mots choisis et imposés par les médias ont modifié l’attitude des masses envers plus d’une minorité religieuse. En France, nul ne niera que les terminologies adoptées par les politiciens, journalistes influents et pseudo-islamologues pour décrire les musulmans, constituent un facteur d’aggravation des tensions actuellement subies par la communauté musulmane.
Il s’agit plus particulièrement de termes qui ont considérablement façonné l’opinion publique sur les musulmans traditionalistes qui pratiquent ouvertement leur religion. Cette simple constatation nous permet de comprendre pourquoi les médias de l’hexagone portent des responsabilités évidentes dans les multiples agressions de femmes voilées, les profanations successives de cimetières musulmans et de mosquées ainsi que dans la hausse massive de l’islamophobie qui est sans précédent.
L’« islamisme » est aujourd’hui un des termes diffamatoires les plus adoptés par la presse occidentale. Voltaire n’a jamais pu s’imaginer les dommages que provoquerait sa conception terminologique. Tout d’abord, le problème réside dans sa perception fluctuante qui a engendré un chaos collectif. Qu’est-ce que l’islamisme et qui est le plus en droit de le définir ? Il s’agit d’un terme qui, en soi, ne veut rien dire, mais qui est toutefois utilisé par de nombreux feuillistes et homme politiques de différentes façons.
Certains l’emploient pour décrire les musulmans qui commettent des actes terroristes, d’autres pour décrire les musulmans qui résistent à l’occupation américaine de leur pays. Pour bon nombre de pseudo-islamologues, l’islamisme est synonyme de l’« islam politique », une expression aussi dérisoire que la « démocratie politique ». Ici, les « islamistes » deviennent ceux qui souhaitent se décoloniser politiquement et économiquement en abolissant les constituons importées pour les remplacer par la législation islamique. Finalement, pour les politiciens qui reprennent une rhétorique islamophobe teintée de racisme, l’islamiste est le musulman qui vit simplement l’islam selon ses préceptes et qui a choisi de ne pas se soumettre aux normes de la France jacobine.
Il devient ipso facto impossible pour le musulman de se soustraire à l’étiquette « islamiste ». Les assauts médiatiques et politiques visant les musulmans orthodoxes ont fait que, pour pouvoir bénéficier de la simple appellation du « musulman », il faut impérativement être laïque ou s’assimiler intégralement aux principes de l’hexagone franchouillard. Le musulman se retrouve ainsi outragé, n’ayant plus le droit d’être « musulman pratiquant » en France, ni même de rêver d’une vie libre sous les lois de l’islam dans son bled sans être taxé « d’islamiste ».
QUI SONT LES « ISLAMISTES »?
La Associated Press compte plus de 5 000 correspondants à travers le monde et fournit ses services à des milliers d’organisations de presse. Lorsque l’agence effectue une modification dans son Style Book[2]Le Style Book est le guide qui sert de protocole terminologique pour l’AP et indique quels termes peuvent être utilisés ou non, et comment. cela a un impact considérable dans les médias du monde entier vu que toutes les agences de presse qui font appel aux services de l’AP et adoptent sa terminologie se voient obligées de suivre. Voilà donc pourquoi le nouvel emploi du mot « islamiste » constitue une primeur dans le combat pour une terminologie médiatique plus équitable envers les musulmans.
C’est en 2012 que le terme « islamiste » fut introduit pour la première fois dans le Style Book de l’AP où l’agence le décrivait initialement comme « un partisan d’un gouvernement qui vit selon les lois de l’islam. Ceux qui prennent le Coran comme modèle politique constituent une grande variété de musulmans, allant de politiciens dans la ligne du courant dominant aux militants connus comme étant des djihadistes ».
Après une pression considérable exercée par le Conseil des Relations Américaines-Musulmanes[3]Le Council on American-Islamic Relations (CAIR) est l’organisation qui défend les droits des musulmans aux États-Unis. pour obtenir la suppression du terme, les dirigeants de l’AP finissent par céder partiellement et changent son acception. Le 3 avril 2013, leur définition de l’islamiste est désormais la suivante :
Un apologiste ou partisan d’un mouvement politique qui favorise la restructuration du gouvernement et de la société selon les lois prescrites par l’islam. À ne pas employer comme synonyme de combattants islamiques, militants, extrémistes ou radicaux qui peuvent, oui ou non, être des islamistes.[4]“The Associated Press Revises Another Politically Charged Term” (Usa News 04/04/2013).
Vous direz qu’il s’agit d’un pas en avant, mais une connotation islamophobe bien cachée reste présente dans le terme. Pourquoi les médias occidentaux se sentent-ils dans l’obligation de qualifier d’islamiste tout musulman qui souhaite vivre selon les lois de sa religion ? Qui leur a donné cette légitimité de dénommer les musulmans de la sorte ? D’où surgit donc cette audace de condamner catégoriquement le désir des musulmans de vivre en toute indépendance, loin de l’hégémonie occidentale ? Ceux qui, dans le monde musulman, aspirent à une liberté totale, loin des menaces économiques du grand Yankee américain, méritent-ils réellement d’être dépréciés par ce terme chargé d’une connotation tellement négative ? L’époque coloniale est, certes, révolue, mais la langue du colonisateur se fait toujours entendre.
LA POLITIQUE LÉGISLATIVE
Contrairement au contenu de la pilule médiatique que l’on veut nous faire avaler, les musulmans qui désirent faire régner les lois de l’islam ne sont pas que des individus violents qui se livrent à des attentats terroristes et rendent mécréants les dirigeants musulmans pour justifier une révolte ou un coup d’État quelconque. Islamiquement, ces derniers se trouvent hors la loi. La grande majorité des musulmans sont pacifiques, mais espèrent néanmoins vivre un jour dans une société plus juste selon les lois du Créateur.
La particularité des « islamologues » est qu’ils adoptent systématiquement le terme « islamisme » pour se donner bonne conscience et prétendre qu’ils ne détestent que l’« islam politique » et non l’islam[5]C’est aussi ce qu’a fait le FN dans sa campagne d’affiche « NON À L’ISLAMISME » qui l’a permis d’exploiter le terme « Islamisme » pour s’attaquer à … Continue reading.
Il n’y a bien entendu rien qui se nomme l’islam politique, car l’islam possède sa propre politique (système de gouvernance) cadrée dans un système entièrement autonome qui est détaillé dans le Coran et la tradition Prophétique. À ce sujet, le grand savant Sheikh Mohammed al-Utheymine disait :
La totalité des versets coraniques et des hadiths prophétiques indiquent que l’islam est l’État. C’est-à-dire qu’il est obligatoire pour l’État d’appliquer l’islam à lui-même, sur ses lois et sur son peuple.[6]Source : « SilsilaLiqâ al-Bâb al-Maftouh », 13/233.
Les musulmans ont donc une propre façon de gérer leurs affaires politiques par le biais de la « Politique Législative » (as-Siyasa al-Chari’ya). Ceci ne peut, en aucun cas, être considéré comme un aspect extérieur à la religion musulmane, car le principe de « séparation de la Mosquée et de l’État » est inexistant en islam du fait qu’il s’agit d’une religion universelle et parachevée qui répond à tous les besoins du musulman dans tous les domaines de la vie. Une évidence que les « spécialistes » de l’islam, après des décennies de profondes recherches, n’ont toujours pas découverte du fait qu’ils comparent la religion musulmane à l’Église contemporaine.
Le terme « islamiste » a été condamné par les savants de l’islam à notre époque qui ont très bien saisi qu’il s’agit d’une arme dans la guerre des mots pour contrer le retour des musulmans vers une pratique intégrale de leur religion. Voici un résumé très précis présenté par Shaikh Bakr Abu Zeyd :
À chaque fois que s’accroit la prise de conscience islamique, la guerre des mots et le conflit psychologique s’intensifient par la construction d’expressions qui inspirent de l’aversion comme celles que je viens de mentionner. D’autres s’emploient dans des tournures de phrase d’une manière encore plus fourbe du fait que le sens effrayant ne se révèle pas à travers la forme ou l’apparence du surnom en question. C’est uniquement en renvoyant le terme à son origine, que l’on constate qu’il coïncide avec les surnoms et les expressions dans la dépréciation et le dénigrement d’une part et dans l’avertissement et leur frayeur de l’autre. Parmi ces expressions nous avons : ‘un fondamentaliste’, ‘le fondamentalisme’, ‘le radicalisme’, ‘la combativité’ et ‘les islamistes’.[7] Source : « Manhaj al-Manahi al-Lafdhiyya », p.106.
Le musulman se doit d’être extrêmement vigilant, car il est quotidiennement confronté à des attaques terminologiques et psychologiques qui se déroulent non seulement dans les médias et la politique, mais également dans l’éducation nationale. Comme en France la laïcité est inculquée d’une façon qui ne permet pas de cultiver le respect d’autres visions du monde, une tendance à marginaliser ceux qui ne partagent pas cette même conception laïque a surgi brusquement. On y fait recours à des terminologies pour concrétiser une ségrégation religieuse non explicite qui devient de plus en plus lourde à digérer pour ceux qui aiment garder l’esprit ouvert.
Notez que les « experts » qui usent du terme islamiste sont incapables d’expliquer comment un musulman pratiquant peut être actif dans l’arène politique sans être qualifié d’islamiste. Ainsi, l’emploi de l’« islamiste » revient implicitement à dire que les musulmans ‘non libéraux’ doivent être exclus de toute participation politique. À nouveau, peut-on interdire aux musulmans le droit de diriger leurs pays selon les lois de leur propre religion ? Doivent-ils être condamnés éternellement à une vie sous des dictatures imposées qui, à leur tour, imposent des constitutions occidentales que leurs peuples n’ont jamais demandé ?
Les politiciens français ne pourront jamais se permettre de répondre à cette question par l’affirmative, mais leur vocabulaire froissant vise néanmoins à sataniser les musulmans qui revendiquent une législation autonome dérivée des lois et préceptes de leur religion. Il s’agit bel et bien d’une guerre terminologique et d’une politique néocolonialiste…
Lisez la suite dans “Nègres et Islamistes – Les Convergences d’une Lutte Culturelle”
Références
↑1 | Source: « Al-Ihkam fi Ousoul al-Ahkam », 6/235. |
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↑2 | Le Style Book est le guide qui sert de protocole terminologique pour l’AP et indique quels termes peuvent être utilisés ou non, et comment. |
↑3 | Le Council on American-Islamic Relations (CAIR) est l’organisation qui défend les droits des musulmans aux États-Unis. |
↑4 | “The Associated Press Revises Another Politically Charged Term” (Usa News 04/04/2013). |
↑5 | C’est aussi ce qu’a fait le FN dans sa campagne d’affiche « NON À L’ISLAMISME » qui l’a permis d’exploiter le terme « Islamisme » pour s’attaquer à l’Islam avec large impunité. |
↑6 | Source : « SilsilaLiqâ al-Bâb al-Maftouh », 13/233. |
↑7 | Source : « Manhaj al-Manahi al-Lafdhiyya », p.106. |
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