À l’instar du Mufti de l’intérieur Gerald Darmanin, Laurent Nunez illustre parfaitement comment les politiques se font endoctriner par les thèses racistes d’une poignée d’islamologues. Dans un entretien avec Bernard Rougier et Gilles Kepel autour du « séparatisme islamiste », Nunez s’est exclamé :
« Cet islam politique ne s’incarne pas forcément dans une radicalisation violente. La violence qu’il comporte c’est la séparation qu’il crée finalement. C’est-à-dire qu’une partie de la société française, si on écoute les tenants de ces théories, vivrait avec leurs règles et leurs normes en dehors de la République. Et ça, on peut considérer que c’est une forme de violence. » [1]“Le projet de loi confortant les principes républicains”, G. Kepel, L. Nunez, B. Rougier.
Lorsque les musulmans vivent selon leurs normes et principes, leur pratique religieuse est donc essentiellement « violente ». Ici, Nunez ne décrit nullement des comportements suspects de musulmans, mais plutôt son propre ressenti lorsqu’il est confronté aux musulmans pratiquants. C’est en effet ce que ressent presque tout raciste en observant l’« autre » qu’il déteste pour sa couleur de peau, sa culture ou sa religion. La « violence » évoquée par Nunez était aussi celle que ressentaient les suprémacistes blancs aux États-Unis et en Afrique du Sud vis-à-vis des Noirs qu’ils estimaient « violents » par nature. D’où l’instauration des systèmes ségrégationnistes dans leurs pays respectifs.
« VIVRE EN DEHORS DE LA RÉPUBLIQUE »
Pour légitimer la répression antimusulmane de son gouvernement, Nunez avance la théorie du « séparatisme islamiste » qu’il lie systématiquement à des attentats terroristes et des appels à la haine (aujourd’hui synonyme de la critique de l’islamophobie d’État). Le fils de pieds-noirs suggère que tous ces aspects font partie des normes des musulmans qui pratiquent ouvertement leur religion (alias les « islamistes »). C’est ainsi que ces derniers « vivraient avec leurs règles et leurs normes en dehors de la République ». Nunez emploie bien les termes « en dehors » pour sous-entendre que leur pratique cultuelle serait séditieuse, illégale, voire criminelle.
Les deux idéologues de la théorie conspirationniste du « séparatisme islamiste », Rougier et Kepel, le lui ont bien inculqué : les islamistes sont tous les musulmans qui, de loin ou de près, s’organisent dans l’intérêt de leur communauté, souhaitent offrir une éducation musulmane à leurs enfants ou pratiquent leur religion de manière trop visible. L’ouvrage de Bernard Rougier supposé établir le « séparatisme islamiste » ne vise plus les terroristes, mais plutôt tout musulman qui maintient une partie de son identité religieuse. Rougier y décrit un « écosystème » de musulmans qu’il considère comme ultra-dangereux. Des organisations contre l’islamophobie aux hommes musulmans qui ne souhaitent pas se doucher nus devant les autres, en passant par les boucheries halal et les clubs où les femmes souhaitent exercer du sport entre elles ; toutes ces activités s’inscrivent dans une mouvance coordonnée d’un ennemi intérieur qui souhaite se séparer de la République.
Que l’ensemble des pratiques susmentionnées soit également présent au sein de la communauté juive de France ne devrait nullement interroger. En effet, le séparatisme — le vrai — ne peut plus être lié à la communauté juive, car cela a déjà mal fini au passé. En effet, durant les années 1930, les juifs allemands furent accusés de séparatisme du fait qu’ils ne « se mettaient pas au service d’objectifs communs ». La propagande nazie mettait en évidence l’incompatibilité entre les valeurs aryennes et les pratiques cultuelles juives qui étaient présentées comme des lois [2]Voir « Der Ewige Jude », 1940.
LES SPÉCIFICITÉS SUBVERSIVES DU CULTE MUSULMAN
En quoi les pratiques islamiques diffèrent-elles des pratiques cultuelles d’autres communautés religieuses pour qu’elles soient taxées de séparatistes ? Selon Nunez, la pratique de l’islam aurait deux spécificités subversives. Tout d’abord, en adhérant aux normes et aux principes islamiques, les musulmans ne respecteraient pas les lois de la République, car ils « imposent leur loi religieuse ». La seconde spécificité qui justifie l’exclusivité musulmane du label « séparatisme » est, toujours selon Nunez, que les pratiques et les normes islamiques sont intrinsèquement liées à la violence et au terrorisme.
Or, la constitution française interdit déjà que les lois françaises soient violées, que ce soit par la mise en vigueur d’autres lois (religieuses ou non) ou par le biais d’actes de violence (terroristes ou non). Donc pourquoi avoir eu besoin d’une nouvelle loi pour éviter qu’on impose des lois religieuses à la loi nationale ? Tout simplement, parce que ce qui est visé ce ne sont pas des lois islamiques, mais bien de simples pratiques religieuses que l’ont retrouve aussi chez d’autres minorités. Voilà pourquoi Nunez fait passer des normes et des pratiques musulmanes totalement légales pour une « imposition de la loi religieuse » aux « lois de la République ». C’est ce tour de passe-passe lexical qui lui permet de justifier la répression des musulmans non laïcisés.
LA VIOLENCE DES MOTS
L’hostilité à l’égard des musulmans non assimilés s’explique souvent par le sentiment de supériorité entretenu — souvent de manière inconsciente — par l’homme Blanco-laïc. La préférence des valeurs islamiques (même dans le respect de la loi) aux valeurs prétendument « universalistes » de la République chamboule entièrement la vision du monde tel qu’il a été conçu au passé par le Français convaincu de la non-valeur des autres civilisations. Ce dernier est alors vexé, car il conçoit la pratique culturelle et cultuelle de l’autre comme un acte de « violence » qui remet en cause la supériorité et l’universalité des valeurs républicaines. L’indigène qu’il a toujours dû civiliser dans les colonies s’est aujourd’hui « séparé » des valeurs « universalistes » au sein même du pays des Lumières et après avoir étudié à l’école de la République. Un affront, on ne peut plus intolérable, qui explique pourquoi Nunez, pour décrire son ressenti personnel, évoque « la violence » et « la séparation » que crée l’adoption des règles et normes islamiques.
Le discours de Nunez, tout comme celui de Darmanin, est un appel à la haine des musulmans qui ont fait le choix de vivre selon leurs propres valeurs. En reprenant les termes propagandistes des thèses d’islamologues, Nunez a voulu blanchir la répression et le racisme d’État antimusulman. Jour après jour, cette violence des mots se traduit par un programme politique de plus en plus répressif qui annonce à son tour des nouvelles formes de violence à l’égard de la minorité musulmane…
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4 commentaires
Des musulmans “qui pratiquent ouvertement leur religion” C’est un crime, un délit, une faute , de pratiquer sa religion? On croyait que depuis la loi de 1905, ce droit était garanti aux croyants aussi bien dans la sphère publique que privée. Ce Nunez a quelque rancune rapportée d’Algérie qui le perturbe et il délire ! Puisqu’il est juif qu’il aille plutôt s’intéresser à ses frères de race et qu’il laisse les musulmans tranquilles!
Il me semble qu’il y a 3 coquilles :
1- C’est-à-dire qu’une partie de la société française, si on écoute les tenants de ces théories, vivrait avec leurs règles et leurs normes en dehors de la Réplique.
2- « VIVRE EN DEHORS DE LA RÉPLIQUE »
3- C’est ainsi que ces derniers « vivraient avec leurs règles et leurs normes en dehors de la Réplique ».
Je suppose que vous vouliez dire “République” et non “Réplique”, n’est-ce pas?
Oui, en effet. Je viens de corriger Baarakallahu fikoum
Wa fikoum baarakallah
On retrouve aussi cette coquille dans l’un de vos tweets relatifs à cet article :
… C’est-à-dire qu’une partie de la société française, si on écoute les tenants de ces théories, vivrait avec leurs règles et leurs normes en dehors de la Réplique. Et ça, on peut considérer que c’est une forme de violence. »