Ceci est la seconde partie de « Douglas Dunlop, les ravages d’une éducation coloniale ». Pour lire la première partie, cliquez ici.
LA « VIDANGE » CULTURELLE
Douglas Dunlop fut un exemple parfait de la collaboration étroite établie entre les missionnaires et l’administration coloniale. À l’instar des colonisateurs, Dunlop réfléchissait à long terme et pensait déjà à l’après-colonisation.
Plusieurs savants islamiques ont méticuleusement étudié les méthodes employées par l’occupant occidental pour diffuser l’idéologie séculière dans les pays musulmans. Parmi eux se trouvait Sheikh ‘Abdel-’Azîz Bin Bâz qui décrit comment Douglas Dunlop créa une classe gouvernante qui, instruite à l’occidentale, se montra si dévoué à l’égard du pouvoir colonial :
Ils (les gouvernements occidentaux) tentent de contrôler et de diriger le programme scolaire dans les pays musulmans et de déterminer sa politique de gestion. Cela peut se faire de façon indirecte ou de façon directe comme ce fut dans le cas du missionnaire Dunlop qui mena une campagne d’évangélisation dans certains pays musulmans. Une fois sa mission achevée, les meilleurs étudiants diplômés des écoles Dunlop se sont manifestés en tant que pioches destructrices dans leur pays d’origine où ils constituèrent l’arme la plus redoutable des ennemis. Ces étudiants diplômés (du système Dunlop) se sont efforcés de diriger le programme scolaire en adoptant des orientations séculières qui sont basées sur une idéologie qui n’est pas centrée autour de la religion.[1]‘Abdel-’Azîz Bin Bâz, « Majmû’ Fatâwa ‘Abdel-’Azîz Bin Bâz », Vol. 3, p. 432
Après avoir ébranlé le système éducatif durant un quart de siècle dans une Égypte sous occupation coloniale, le système Dunlop donna naissance aux « enfants de la colonisation ». Formés depuis leur plus jeune âge pour occuper les postes d’influence, ils furent programmés pour détruire le pays dans les décennies, voir les siècles, à venir. De cette perspective, l’occupation anglaise fut plus perfide que celle des Français :
L’orientalisme anglais est venu pour réformer et renouveler la culture du peuple égyptien en la brisant funestement et d’une manière plus fourbe que l’avait fait l’orientalisme français et avec une audace encore plus effrontée. Dunlop a jeté les fondations pour permettre “la vidange” totale des étudiants scolarisés de l’Égypte. J’entends par “la vidange” le processus de vider les enfants de leur passé qui jaillit dans leur sang et qui les lie à la langue arabe et l’Islam. Ils (les colons) frayèrent ainsi le chemin pour remplir la jeunesse avec un passé insignifiant qui n’est pas le leur et qui sème en eux la confusion… Ce vide (chez les enfants) fut alors rempli par des sciences, de la littérature et des arts qui n’ont aucun lien avec leur propre passé. Plutôt, il s’agit des sciences de l’envahisseur, des arts de l’envahisseur, de la littérature de l’envahisseur, de l’histoire de l’envahisseur et de la langue de l’envahisseur…[2]Mahmoud Shâkir, « Risâla Fi al-Tarîq ila Thaqâfatina »
Les enfants égyptiens, de par ce vide qui fut instauré en eux, subirent un lavage du cerveau, du cœur et de l’esprit. Toutes les matières enseignées par les colons n’étaient que « des épluchures et des extraits (de certaines sciences) qui entretenaient l’illusion chez les esprits vidés qu’ils avaient atteint quelque chose digne d’intérêt ». Or la réalité est qu’ils ont été nourris avec « une alimentation qui maintient en vie les morts-vivants, rien de plus ».
Mahmoud Shâkir explique que la vidange culturelle fut organisée de façon structurée afin d’être appliquée dans l’ensemble du pays :
À l’ère de Dunlop, il ne suffisait plus, comme le firent les Français, d’envoyer des étudiants à l’étranger pour être formés, car l’éducation (coloniale) devait se répandre à plus grande échelle. Il fallait donc produire des générations successives d’étudiants issus du système des écoles Dunlop qui allaient être farouchement attachés à la transformation sociale, culturelle et politique du pays.[3]Mahmoud Shâkir, « Risâla Fi al-Tarîq ila Thaqâfatina »
C’est ainsi que l’enfant égyptien devint affaibli. Il ne lui restait plus rien de sa culture pour pouvoir contester ce nouveau passé d’un autre peuple et maintenir son propre passé qui, bien que plus riche, se trouvait sur le point d’être réduit en miettes et étouffé par une succession de « vidanges ». Ce procédé a engendré des générations d’étudiants scolarisés qui « demeurent dans une confusion destructrice entre deux appartenances » ; entre l’appartenance à la culture arabo-musulmane qui est clairement détaillée dans les livres de leurs ancêtres et l’appartenance à l’européanisme sulfureux qui a causé le génocide de leur culture dont subsistent aujourd’hui que les vestiges…
L’ARABISATION DU MODELE COLONIAL
En mars 1919 éclate la révolution égyptienne contre l’occupant britannique. L’armée anglaise tue au moins 800 Égyptiens, brûle un grand nombre de villages et détruit les chemins de fer. La révolution s’intensifie et Douglas Dunlop se voit contraint de résigner ses fonctions de conseiller. Quelques mois plus tard, il se sauve du paysoù il a perturbé l’éducation égyptienne depuis sa racine.
Saad Zaghlul, le ministre égyptien de l’Éducation qui jusque-là fut une marionnette des autorités britanniques, se place à la tête du mouvement nationaliste et commence par arabiser la langue d’instruction dans les écoles égyptiennes. Mais peu saisirent qu’en réalité il ne faisait qu’arabiser le système d’éducation colonial.
Les nationalistes font d’énormes progrès et leurs initiatives mènent à la Déclaration du 28 février 1922qui reconnaît l’Égypte comme un état indépendant. En 1923 le gouvernement ratifie une nouvelle constitution qui n’est qu’un calque du système parlementaire occidental. En 1924, les élections sont instaurées et le pays devient une République populaire à l’image de certains Etats communistes de l’époque.
Références[+]
↑1 | ‘Abdel-’Azîz Bin Bâz, « Majmû’ Fatâwa ‘Abdel-’Azîz Bin Bâz », Vol. 3, p. 432 |
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↑2 | Mahmoud Shâkir, « Risâla Fi al-Tarîq ila Thaqâfatina » |
↑3 | Mahmoud Shâkir, « Risâla Fi al-Tarîq ila Thaqâfatina » |
↑4 | Mahmoud Shâkir, « Risâla Fi al-Tarîq ila Thaqâfatina » |
↑5 | Mahmoud Shâkir, « Risâla Fi al-Tarîq ila Thaqâfatina » |
↑6 | Comparer les organisations terroristes (dites « islamistes ») avec les colons occidentaux n’est pas vraiment justifié du fait que les attentats terroristes, de nos jours, ne représentent pas grand-chose comparés à la barbarie coloniale qui a perduré plusieurs siècles et sous laquelle ont péri des dizaines de millions d’innocents. |