Des siècles d’oppression (croisades, colonisation, impérialisme…) ont produit différents types de racisme (ethnique, raciale, culturelle…) et ont suscité des échos qui se font aujourd’hui inévitablement entendre en Occident.
Selon Michael Welp, le privilège blanc est une des répercussions de ce passé. Le privilège blanc représente, en quelque sorte, le revers de l’oppression historique. Le musulman visible, l’homme noir ou l’Arabe qui vit en Europe est quotidiennement confronté aux conséquences de ce passé (emploi, logement, éducation). Souvent il doit se battre dix fois plus que les autres pour obtenir un diplôme. Une fois le diplôme en poche, il aura dix fois moins de chance à l’embauche. L’homme blanc, à contrario, bénéficie d’énormes privilèges qu’il est incapable de discerner.
Pour Welp, ce privilège constitue le second angle mort du racisme latent chez l’homme blanc :
En tant que Blanc, il est simple d’obtenir une bonne éducation, de trouver un emploi, etc. Pour les gens issus de minorités, c’est l’inverse… Pour nous les Blancs, il est difficile d’accepter le terme de privilège, car nous ne nous sentons pas privilégiés. Nous pensons que nous avons toujours travaillé incroyablement dur pour obtenir tout ce que nous avons. En effet, nous avons travaillé dur, mais nous n’avons pas dû lutter, marchander ou réfléchir à une porte de sortie là où d’autres groupes ont dû le faire. [1]Michael Welp, « White Men: Time to Discover Your Cultural Blind Spots »
L’homme blanc ne ressent pas son privilège dans la société du fait qu’il n’arrive pas à concevoir que d’autres peuples ou les minorités locales vivent une réalité entièrement différente de la sienne. Sa vision du monde n’est pas forcement fausse, mais plutôt incomplète:
Nous ne nous rendons pas compte que d’autres personnes ont une expérience et une perception du monde qui est différente de la nôtre. La plupart des nôtres, nous allons de manière naturelle nous rejoindre et converger vers les similitudes et les éléments que nous avons en commun (avec les minorités). En fait, les recherches interculturelles démontrent que lorsque vous abordez le sujet de la diversité, la plupart d’entre nous nieront ou minimiseront les différences existantes. Si, lors de mes échanges avec les gens issus des minorités, je me rattache uniquement aux similitudes et aux points communs, je n’arriverai jamais à voir une autre partie de leur réalité. Ce n’est pas que ma vision du monde soit erronée, elle est plutôt incomplète.
LA DOUBLE CONSCIENCE DU MUSULMAN DE FRANCE
Le privilège blanc est entretenu par un système où le racisme et l’islamophobie ont été institutionnalisés. Que ce soit en France ou aux États-Unis, le système en place crée des gagnants et des perdants. Peu importe ce que vous faites, les opportunités qui se présentent restent en grande partie basées sur des privilèges.
Tout comme les Afro-Américains, les musulmans de France partagent ce que l’historien afro-américain William Du Bois (1868-1963) décrivait comme une « double conscience » [2]Dans son ouvrage « Black Skin, White Masks », Frantz Fanon traite aussi du sujet de la double conscience et explique que les confusions culturelles et sociales des Afro-Américains étaient … Continue reading. Il s’agit d’un défi psychologique où la personne tente de réconcilier sa double culture : l’héritage islamique (ou africain, asiatique…) avec une éducation et un vécu occidental. Les minorités en Occident possèdent donc une conception du soi à multiples facettes qui entraîne des comportements très différents.
Le musulman peu cultivé réagira à cette « double conscience » en se regardant à travers les yeux de ceux qui le détestent. Il se pliera à leurs préjugés avec lesquels ils exigent de lui qu’il réprime son identité. Souvent, cette attitude est accompagnée d’un complexe d’infériorité et d’une crise d’identité.
Chaque matin, de nombreux musulmans en Europe se posent la même question : comment puis-je me présenter à ce monde sans être conçu comme une menace tout en restant qui je suis ? S’il maintient une grande partie de son islamité, il verra les opportunités se dissiper devant lui. Il n’obtiendra pas (ou presque pas) de contrat d’embauche et risque, s’il en a un, d’être licencié pour « radicalisation islamiste » [3]La présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse a récemment proposé d’« édicter des incompatibilités professionnelles » en cas de « comportements contraires aux valeurs … Continue reading.
Pour bénéficier des privilèges habituellement réservés aux Français de souche, le musulman (ou la musulmane) doit entièrement s’assimiler en rejetant son identité culturelle et religieuse. Inconsciemment, il se rend alors complice d’un racisme intériorisé [4]Le racisme intériorisé est le produit direct du système de classification raciale et est défini comme « l’intériorisation de l’oppression raciale par les personnes racialement … Continue reading. Il se comporte de manière à entretenir la vision dominante de l’infériorité culturelle et religieuse des musulmans. Il est séduit par les stéréotypes islamophobes, s’adapte aux normes culturelles laïques et intègre des critères républicains pour déterminer ce qui est bon, souhaitable ou nécessaire. Ce handicap ne peut être surmonté que si le musulman détermine et construit lui-même son identité indépendamment de l’influence médiatique, sociétale et éducationnelle.
Le racisme et l’islamophobie intériorisés sont des expressions d’une colonisation mentale et possèdent leur propre système de récompenses et de sanctions. Les musulmans sont spontanément récompensés lorsqu’ils se soumettent à l’islamophobie qu’ils ont intériorisée. Ils sont récompensés lorsqu’ils s’assimilent et adoptent le mode de vie des non-musulmans. Dans le cas contraire, ils sont sanctionnés par le système en place.
ÉDUQUER L’HOMME BLANC
Confronté à son privilège, l’homme blanc sort de sa zone de confort. Il s’agit néanmoins du premier pas qu’il doit franchir pour concrétiser un vivre ensemble fondé sur le respect de l’autre. Il faut savoir que chez les minorités, le privilège blanc est vu d’un mauvais œil, bien que l’homme blanc n’y est souvent pour rien :
Pour les Blancs, les privilèges ne s’arrêtent pas. Le privilège est quelque chose que nous ne devons pas assumer, car nous ne le sentons pas. Ce n’est pas quelque chose que j’ai choisi. Cependant, les autres supposent que nous, hommes blancs, sommes conscients de nos privilèges et que nous les voyons. Ils supposent que cela nous laisse froid ou que nous voulons simplement conserver ce privilège. Ils attribuent donc une intention négative à ces privilèges.
Michael Welp estime que l’homme blanc a le devoir de s’éduquer en comprenant que les minorités sont privées de ses privilèges. Voilà pourquoi il doit en premier lieu prendre conscience que l’« autre » à une réalité totalement différente de la sienne :
Lorsque nous commençons à voir notre privilège et que nous l’assumons, cela libère les autres du fardeau de devoir nous éduquer et nous prouver que leurs réalités sont réellement différentes.
Beaucoup de musulmans pensent qu’il suffit de dénoncer l’islamophobie et d’exiger une égalité des chances et des droits égaux. Ils pensent que leurs problèmes seront ainsi résolus. Or ce n’est pas le cas. Ceux qui souffrent d’un racisme latent doivent être éduqués, ceux dont le racisme est explicite, déradicalisés.
Selon Welp, étudier la culture des minorités pour comprendre leurs réalités n’est pas seulement un moyen pour combattre les discriminations envers les minorités, c’est avant tout une expérience qui changera la vie de l’homme blanc. Le dialogue avec l’autre est enrichissant, lui ouvre l’esprit et crée de nouveaux horizons dans sa compréhension du monde :
Les hommes blancs doivent accepter le fait que naviguer dans la diversité est un parcours d’apprentissage qui durera toute une vie.
Si l’homme blanc découvre sa boite culturelle, il peut utiliser les points forts de sa culture pour résoudre des problèmes qu’il ne pouvait cerner auparavant. Il sera capable de réfléchir en dehors des limites restreintes de sa culture pour résoudre des conflits avec les minorités.
Cette nouvelle prise de conscience quant à sa culture lui permet de voir à quel moment il est en train d’imposer sa propre culture aux autres. Il cherchera d’autres solutions pour équilibrer la société comme le font depuis plusieurs décennies de nombreux chercheurs américains.
Plutôt que d’imposer un moule culturel ou un « melting pot » dans lequel tout le monde doit se fondre, l’activiste antiraciste Jane Elliot évoque le concept d’un saladier :
Nous n’avons pas besoin d’un melting-pot dans ce pays. Nous avons besoin d’un saladier. Dans un saladier, vous rajoutez les différents ingrédients sans les transformer. Ainsi, les légumes — la laitue, les concombres, les oignons, les poivrons verts — préservent tous leur identité. C’est ainsi que vous apprécieriez mieux les différences.
Il est temps que la France passe d’une mission civilisatrice à une mission éducative où les Français plutôt que de vouloir inculquer leur vision du monde apprennent à connaitre le monde…
Références
↑1 | Michael Welp, « White Men: Time to Discover Your Cultural Blind Spots » |
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↑2 | Dans son ouvrage « Black Skin, White Masks », Frantz Fanon traite aussi du sujet de la double conscience et explique que les confusions culturelles et sociales des Afro-Américains étaient causées par la culture européenne. |
↑3 | La présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse a récemment proposé d’« édicter des incompatibilités professionnelles » en cas de « comportements contraires aux valeurs de la République ». |
↑4 | Le racisme intériorisé est le produit direct du système de classification raciale et est défini comme « l’intériorisation de l’oppression raciale par les personnes racialement subordonnées » (Karen D. Pyke) ou « l’acceptation consciente et inconsciente d’une hiérarchie raciale dans laquelle les Blancs sont systématiquement classés au-dessus des personnes de couleur. » (Robin Nicole Johnson). |