Professeure de philosophie à l’université de Nijmegen aux Pays-Bas, Anya Topolski analyse les ressemblances entre le racisme nazi et l’islamophobie contemporaine en Europe. Beaucoup de ses conclusions sont identiques à celles tirées dans « Le Figaro — De l’islamophobie ordinaire à la propagande nazie ».
Dans son article « Le racisme sans races n’est pas nouveau » [1]Anya Topolski, “Racisme zonder rassen is niet nieuw”, De Morgen, 2 aout 2018, Topolski explique pourquoi il est important de remettre en question les idées des Lumières pour éviter toute forme de racisme culturel. Voici un résumé…
L’ISLAMOPHOBIE, UNE NOUVELLE FORME DE RACISME CULTUREL
Certains prétendent qu’on ne peut remettre en question les idées et les principes de base des Lumières. Selon moi, il est justement important de le faire. Pourquoi ? Parce qu’un des plus grands problèmes de l’héritage des Lumières est qu’elles ont ouvert la voie au racisme culturel. Ce racisme est aussi appelé le racisme historique (ou le néoracisme), car il suppose une sorte de progrès culturel lié à un certain groupe de personnes (principalement des communautés linguistiques ou nationales).
Le racisme culturel n’est pas nouveau. Ce qui est « nouveau », par contre, c’est sa manifestation actuelle sous la forme d’islamophobie (bien que l’orientalisme peut être considéré comme une manifestation de ce racisme au XIXe siècle). Un autre problème est que beaucoup de sionistes estiment que les nazis ont inventé le racisme biologique. Le racisme nazi était une manifestation horrible du racisme, mais il n’en est pas la seule.
LE RACISME NAZI
Faire de l’antisémitisme l’unique forme de racisme ou plaider pour son exceptionnalité peut conduire à la négation du racisme anti-noir qui trouve ses racines dans l’esclavage et le colonialisme. C’est une chose très courante chez les politiques de droite qui veulent s’acquitter de leurs responsabilités envers le passé.
Cette logique enfantine — à savoir « si ce n’est pas exactement ce qu’ont fait les nazis, ce n’est pas du racisme » — doit être dénoncée. Bien que je ne souhaite certainement pas minimiser les actes des nazis (et de tous les Européens qui ont soutenu leur projet d’extermination), il serait absurde de suggérer qu’ils ont inventé le racisme.
Quand on examine les racines du racisme nazi, il est évident qu’il s’agissait à l’origine d’une forme de racisme culturel héritée de la tradition chrétienne de l’antijudaïsme qui contient des éléments à la fois biologique (« les juifs ne peuvent être sauvés par la conversion ») et culturel (« les juifs peuvent, en théorie, être “sauvés” par une combinaison de conversion et d’assimilation »). Les débats sur la relation entre le racisme biologique et culturel remontent à 1492, à l’époque de l’Inquisition, ainsi que lors de la colonisation des Amériques.
Le racisme, qu’il soit biologique ou naturel, est presque toujours mêlé au racisme culturel. En 1988, le philosophe français Étienne Balibar définit le racisme culturel comme un « racisme sans race » dans lequel le thème dominant n’est pas la biologie, mais le caractère inconciliable des différences culturelles.
UNE QUESTION SPIRITUELLE
Susannah Heschel, professeure d’études juives, a mené une recherche approfondie sur les racines du racisme nazi. Elle fait référence au processus de racialisation du christianisme. Un processus qui a commencé au milieu du XIXe siècle et qui atteint son sommet lors du Troisième Reich.
Les théologiens et les politiciens ont exploité le racisme comme un outil politique pour justifier l’infériorité du peuple juif. Un des aspects les plus connus de ce racisme s’érigeait contre la manière dont les Juifs s’accrochaient à leurs anciens rituels, on disait qu’ils étaient obsédés par leur corps (on critiquait leur circoncision) et leur loi (qui n’était pas la loi de l’État).
L’idée de race repose sur la vision classique du christianisme où l’on fait une distinction entre le caractère charnel du judaïsme et la spiritualité du christianisme. Bien que de nombreux chercheurs aient encore du mal à distinguer le racisme de sa manifestation biologique, il est clair que même pour les théologiens nazis il s’agissait surtout d’un problème spirituel et que la biologie n’était qu’une expression du racisme nazi.
Le racisme nazi n’était pas seulement un racisme biologique, mais plutôt un mélange de racisme théologique, culturel et biologique… tout comme l’islamophobie d’aujourd’hui. Presque tous les ingrédients sont similaires, bien que les proportions diffèrent parfois légèrement (certaines nuances sont plus subtiles, d’autres plus prononcées). L’Europe a une occasion unique de ne pas commettre à nouveau l’erreur de sous-estimer le poison de cette recette raciste…[2]Spoiler: Anya Topolski n’est pas “islamiste”, mais juive…
2 commentaires