La situation dégradante des musulmans à l’heure actuelle provoque parfois des incitations à la haine dans lesquelles on exige l’abolition de l’orthodoxie musulmane. Ce fut le cas il y a quelques années lorsqu’un blogueur de la fachosphère française reprocha aux musulmans de ne pas vouloir occidentaliser leur religion. Dans son manifeste, il souleva des questions qui, pour un lecteur peu instruit, pourraient paraître pertinentes :
Pourquoi la culture islamique demeure-t-elle pétrifiée et hermétiquement fermée à la culture occidentale ? Les musulmans ne cessent de se vanter d’avoir transmis la civilisation grecque et romaine aux Occidentaux, mais s’ils étaient vraiment porteurs de cette civilisation pourquoi ne l’ont-ils pas préservée, valorisée et enrichie afin d’en tirer le meilleur profit ? [1]Blogueur, “La Fachosphère”
Ce type d’interrogations est souvent partagé par des Arabes occidentalisés qui ne cessent d’amalgamer la culture musulmane et le terrorisme. Dans une interview accordée au Figaro, l’activiste anti musulman Abdennour Bidar décrit les actes terroristes sur le territoire français comme « des tragédies qui sont révélatrices d’une crise morale de la culture religieuse musulmane qui, dans trop de milieux et de sociétés, s’est rigidifiée, fossilisée, et a produit un monstre dégénéré »[2]Abdennour Bidar, « La pauvreté spirituelle d’un certain islam confine à l’indigence » (Le Figaro).. Le reproche demeure le même : si des musulmans commettent des attentats, c’est parce qu’ils refusent d’occidentaliser leur religion.
Pour répondre à cette thèse très en vogue dans les milieux racistes et orientalises, il faut d’abord mettre les choses dans leur juste contexte et faire un aperçu des événements historiques qui ont dévasté le monde islamique.
ÉVOLUTION DU RACISME OCCIDENTAL
Le racisme en Occident a connu une évolution continuelle durant près d’un millénaire. Initialement, il fut question d’une haine justifiée par la Bible contre les musulmans et les juifs qui aboutit aux croisades et aux pogromes. Avec les conquêtes coloniales, le racisme prend une nouvelle allure et s’exprime à travers les thèses de la supériorité civilisationnelle.
L’idée que la civilisation occidentale serait la meilleure et la seule à vocation universelle suscita inévitablement le dénigrement des autres civilisations. Pour prouver la suprématie européenne, l’homme blanc devait persuader le reste du monde que les civilisations colonisées ne représentaient pas grand-chose. Pour ce faire, des scientifiques occidentaux avancèrent des arguments biologiques ; les crânes de différentes races furent mesurés et des traits de caractère furent attribués en fonction de la couleur de peau et de la physionomie. Ce racisme scientifique produisit des stéréotypes comme le « Nègre fainéant » qui n’est bon qu’à danser, l’« Arabe fanatique dépourvu de raison » ou encore le « Chinois non fiable ». Paradoxalement, des sciences comme la biologie et l’anthropologie transformèrent tous ces clichés en « vérités scientifiques ».
Ces thèses raciales serviront alors de justification pour les futures agressions occidentales et entraîneront le racisme culturel: il ne s’agit plus seulement de l’apparence physique des personnes, mais de leur mode de vie et leur culture considérés comme inférieures à la manière de vivre occidentale.
Les Occidentaux arrivent non seulement à imposer leur système économique en tant que structure référentielle en général, ils se proclament aussi supérieurs et universels en raison de leurs « valeurs humanistes ». L’Occident devient ainsi le commencement et la fin de toute civilisation.
Au cours de cette évolution, le racisme est de plus en plus relativisé et banalisé, même après la décolonisation territoriale. Aujourd’hui, les sociétés occidentales se veulent toutes démocratiques et antiracistes, mais rien n’est moins vrai. Tant que des peuples sont opprimés économiquement et culturellement, ils sont victimes de discrimination et demeureront inférieurs à l’échelle mondiale. C’est de manière occulte que le racisme se poursuit au XXIe siècle sans réellement déranger l’opinion publique occidentale[3]Lucas Catherine & Kareem El Hidjaazi, « Jihad et Colonialisme »..
UNE CULTURE PÉTRIFIÉE
Avant même que les pays musulmans tombent aux mains des colons, l’enseignement islamique s’était considérablement affaibli et la Oumma vit déjà les premiers signes d’une fragmentation sociale et politique.
Les colons ont exploité cette division et cette faiblesse religieuse pour achever, disloquer et puis remplacer le système éducatif islamique en Orient[4]Voir « Les Origines de l’Acculturation du Monde Musulman ».. Les objectifs et les opinions s’effritèrent de plus en plus divisant davantage la communauté musulmane. Une longue période de colonisation a fini par produire un système aux valeurs occidentales auquel les populations locales devaient se plier.
Cependant, la mise en place d’une structure coloniale en terre d’islam n’a pas conduit à la destruction totale de la culture indigène. Il s’agissait plutôt d’un abâtardissement et d’un abrutissement qui engendrèrent une « pétrification » de la culture existante. Là où la culture musulmane fut résistante par nature et tournée vers l’avenir, elle se dessécha et se rétrécit au sein du système de domination coloniale. Les historiens parlent souvent d’une momification culturelle dans laquelle on ne discerne plus que des structures archaïques qui ont perdu tout leur élan [5]Lucas Catherine & Kareem El Hidjaazi, « Jihad et Colonialisme ».. Au siècle passé, cette métamorphose culturelle fut décrite succinctement par Ibn Utheymin :
Ils (les occidentaux) ont introduit dans la culture islamique des éléments qui la détachent de ses objectifs et de sa raison d’être de manière à ce qu’elle soit aujourd’hui devenue une culture sèche qui n’a plus que sa peau et ses os, une culture dans laquelle on ne reconnait plus la vivacité de la religion ni sa richesse.[6]Mohammed Ibn Salih al-Utheymine, « al-Diyâ al- âmi’ Min Khutab al-Jawâmi’ », Vol. 2, p. 167
Cette occidentalisation des habitudes et mœurs musulmanes a produit un complexe d’infériorité chez les peuples colonisés. Le colonialisme a paralysé leur culture et l’a remplacée par une autre qui se veut « universelle », mais qui ne l’est pas. Les musulmans ont ainsi commencé à mépriser leurs propres valeurs et à mener une vie d’humain incomplet qui ne peut parfaire sa personne qu’en s’assimilant. Dépendants du nouvel universalisme, ils ne leur restaient plus qu’à se soumettre à l’hégémonie de l’Occident. Ils devinrent imprégnés des idées des Occidentaux et se mirent à réfléchir avec les pensées de ces derniers tout en préservant une partie de leurs valeurs. C’est ici que leur culture subit la fossilisation qui leur est aujourd’hui reprochée par l’Occident[7]Un même constat fut dressé par Frantz Fanon dans son discours « Racisme et culture » de 1956 : « La mise en place du régime colonial n’entraîne pas pour autant la mort de la culture … Continue reading .
LA CULTURE UTOPIQUE
Les premières générations d’immigrés arabes et africains avaient hérité de ce mirage culturel après que l’idéologie capitaliste dans les colonies ait pétrifié la culture de leurs ancêtres. Ils devinrent convaincus qu’en dehors du système occidental il n’y avait plus d’espoir pour le futur et plus aucune possibilité de sortir de leur situation précaire. La solution inévitable fut de rejeter leur propre culture, leurs valeurs et d’oublier leur Histoire glorieuse. Pour réussir, beaucoup d’Arabes se sont transformés en béni-oui-oui, de nombreux Noirs en Bounty’s.
Les colons n’avaient pas seulement dérobé leurs ressources, mais aussi leur héritage ancestral qui fut bien plus précieux. En écrivant l’Histoire des nations qu’il a pillée, l’Occident a déterminé les contours de leur passé. La population importée en Europe devint ainsi privée de son propre passé ayant peu d’opportunités pour le futur. Il s’agit d’une forme d’aliénation que l’on désigne aujourd’hui par le terme d’« assimilation » et qui constitue la plus grande victoire du colonialisme et du racisme culturel[8]Voir « L’acculturation des Musulmans de France »..
Si la communauté musulmane se trouve aujourd’hui dans son état actuel ce n’est pas parce qu’elle est restée hermétiquement fermée à la culture occidentale, bien au contraire. L’Histoire démontre que la culture islamique demeure justement pétrifiée là où elle s’est fait métamorphoser et influencer par l’Occident. Pour débloquer et libérer cette culture imbue aux coutumes coloniales, il faut seulement que les musulmans reconstruisent leur identité, se réapproprient leurs valeurs et arrêtent de vouloir ressembler aux Occidentaux…
Références
↑1 | Blogueur, “La Fachosphère” |
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↑2 | Abdennour Bidar, « La pauvreté spirituelle d’un certain islam confine à l’indigence » (Le Figaro). |
↑3 | Lucas Catherine & Kareem El Hidjaazi, « Jihad et Colonialisme ». |
↑4 | Voir « Les Origines de l’Acculturation du Monde Musulman ». |
↑5 | Lucas Catherine & Kareem El Hidjaazi, « Jihad et Colonialisme ». |
↑6 | Mohammed Ibn Salih al-Utheymine, « al-Diyâ al- âmi’ Min Khutab al-Jawâmi’ », Vol. 2, p. 167 |
↑7 | Un même constat fut dressé par Frantz Fanon dans son discours « Racisme et culture » de 1956 : « La mise en place du régime colonial n’entraîne pas pour autant la mort de la culture autochtone. Il ressort au contraire de l’observation historique que le but recherché est davantage une agonie continuée qu’une disparition totale de la culture préexistante. Cette culture, autrefois vivante et ouverte sur l’avenir, se ferme, figée dans le statut colonial, prise dans le carcan de l’oppression. À la fois présente et momifiée elle atteste contre ses membres. Elle les définit en effet sans appel. La momification culturelle entraîne une momification de la pensée individuelle. L’apathie si universellement signalée des peuples coloniaux n’est que la conséquence logique de cette opération. Le reproche de l’inertie constamment adressé à “l’indigène” est le comble de la mauvaise foi. » |
↑8 | Voir « L’acculturation des Musulmans de France ». |