Il y a plus de 1400 ans, le Prophète ﷺ avait prédit que des gens de sa communauté lutteraient pour la préservation de la juste interprétation du Coran, comme lui-même ﷺ a lutté pour sauvegarder sa révélation[1]Le Hadith en question a étéjugé authentique par Sheikh al-Albani dans « Al-Silsilatul as-Sahîha » (2487).. Bien après le décès du Messager ﷺ, Ali Ibn Abi Tâlib envoya Ibn Abbas à Haroura pour convaincre les Khawarij de leur égarement dans ce qui sera le premier affrontement pour le maintien de la bonne compréhension des textes religieux[2]Apres une discussion qui se portait sur trois ambiguïtés clées des Khawarij, 4000 parmi les 6000 Khawarij sont revenus à la compréhension des Compagnons.. Avec la multiplication des sectes islamiques, ce type de débats ne cessera d’accroître durant les quatorze siècles suivants la révélation.
En France, une poignée d’islamologues se sont aujourd’hui immiscés dans cette bataille en prônant une « réouverture de la porte de l’ijtihad[3]Une définition précise de l’ijtihad (l’effort d’interprétation) est la suivante : « L’ijtihad consiste en l’effort fourni par le juriste pour parvenir à une règle de droit religieux … Continue reading » afin de séculariser la religion de leurs compatriotes musulmans. Selon eux, cette porte aurait été fermée il y a plusieurs siècles et doit maintenant être rouverte par le biais de nouveaux jugements juridiques qui permettront la création d’un « islam des Lumières »[4] Cette appellation dénigrante sous-entend que l’islam du Prophète ﷺ était un islam des ténèbres ayant besoin des idées françaises du XVIIe siècle pour être illuminé.. Non sans raison, ces « islamologues illuminés » sont très convoités par la fachosphère française et les instances gouvernementales[5]Le rapport complotiste « Frères Musulmans et Islamisme Politique en France » déplore ainsi que « l’islam des lumières » et les « nouveaux penseurs de l’islam » peinent à se trouver un … Continue reading qui aspirent encore à voir l’apparence d’un culte musulman laïcisé où les croyants renoncent à leur identité ainsi qu’à leurs convictions et pratiques cultuelles.

À l’instar de bien d’autres thèses avancées par les islamologues, la théorie de la porte fermée (connue sous Insidâd Bâb al-Ijtihâd) est calquée sur le discours orientaliste selon lequel l’ijtihad a cessé d’être pratiqué après le VIIIe ou IXe siècle avec le consentement des juristes musulmans eux-mêmes[6]Voir Wael Hallaq, « Law and Legal Theory in Classical and Medieval Islam ».. En 1964, l’orientaliste germano-britannique Joseph Schacht (1902-1969)[7] Connu pour avoir continué la propagande mensongère des orientalistes Goldziher et Hurgronje, Joseph Schacht estimait que la majorité des hadiths avaient été inventés après l’an 720. l’évoquait de la manière suivante :
Dès le début du quatrième siècle de l’hégire (environ 900 après J.-C.), on avait atteint un point où les savants de toutes les écoles estimaient que toutes les questions essentielles avaient été pleinement discutées et définitivement réglées. Un consensus s’établit progressivement selon lequel, à partir de ce moment, plus personne ne pouvait encore être considéré comme ayant les qualifications nécessaires pour un raisonnement juridique indépendant, et que toute activité future devait se limiter à l’explication, à l’application et, au mieux, à l’interprétation de la doctrine telle qu’elle avait été fixée une fois pour toutes. Cette “fermeture de la porte de l’ijtihad”, comme on l’appelait, équivalait à une exigence de taqlid[8]Le suivi aveugle de l’autorité juridique, à ne pas confondre avec al-Ittibâ’ des Compagnons du Prophète ﷺ., un terme qui désignait à l’origine la forme de référence aux Compagnons du Prophète qui était coutumière dans les anciennes écoles juridiques, et qui en vint à signifier l’acceptation sans remise en question des doctrines des écoles et des autorités établies.[9] Joseph Schacht, « An Introduction to Islamic Law ».
D’autres orientalistes comme J.N.D. Anderson (1908–1994) ont soutenu qu’il était communément admis que la porte de l’ijtihad s’était fermée au IXe siècle[10]J.N.D. Anderson, « Law Reform in the Muslim World ».. Selon l’orientaliste écossais H.A.R. Gibb (1895–1971), les premiers savants musulmans considéraient que la porte était « fermée, pour ne plus jamais être rouverte »[11]H.A.R. Gibb, « Modern Trends in Islam »..
Qu’en est-il réellement ? La porte de l’ijtihad est-elle réellement fermée de nos jours ? Sinon, l’a-t-elle été à un instant précis de l’histoire ? De manière assez surprenante, les érudits à travers le monde musulman ainsi que d’éminents chercheurs académiques en Occident ayant étudié le fonctionnement de cette porte à travers les siècles arrivent à des conclusions très similaires.
LES ERUDITS MUSULMANS ET L’IMPOSSIBILITE DE LA PORTE FERMEE
C’est au début du XIIe qu’est apparue pour la première fois l’idée d’une « fermeture de la porte de l’ijtihad ». L’intransigeance et le fanatisme à l’égard des écoles juridiques (madhâhib) avaient alors poussé certains à prononcer l’interdiction d’émettre des avis en dehors de ceux consignés dans les livres des quatre imams et de leurs disciples. Sous la revendication de la « fermeture de la porte de l’ijtihad », ils voulaient empêcher que des fatwas soient émises qui n’apparaissent pas dans l’une des écoles juridiques.
Or, la communauté musulmane est continuellement confrontée à de nouvelles questions et situations nécessitant la connaissance d’un jugement religieux à leur sujet. Cela ne peut être réalisé qu’au moyen d’un effort d’interprétation (ijtihad) en examinant les preuves juridiques afin d’en extraire des fatwas appropriées. Voilà pourquoi de nombreuses voix érudites, de toutes tendances confondues[12]Les voix les plus connues étaient Shah Wali Allah, al-Amîr al-San’âni, Ibn ‘Abd al-Wahhâb, al-Shawkâni et Ibn ‘Ali al-Sanousi., se sont levées pour déclarer que la thèse de la « fermeture de la porte de l’ijtihad » est infondée, car de nombreuses questions n’existaient pas à l’époque des anciens imams et n’ont donc jamais pu être traitées. Des érudits comme l’Imâm Jalâl al-Dîn al-Suyûti (1445 -1505) allaient jusqu’à déclarer que l’ijtihad est la colonne vertébrale de la charia et que, sans ijtihad, aucune décision juridique ne pouvait être prise[13]Jalâl al-Dîn al-Suyûti, « al- Tahadduth bi N’ima Allah »..

Pour prouver que la porte à l’interprétation n’a jamais été fermée, l’Imâm al-Shawkâni (1759 -1834) a compilé une œuvre biographique[14]« Al-Badr al-Tâli’ bi Mahâsin man baʿd al-Qarn al-Sâbi’ ». dans laquelle il démontre qu’après le XIIe, les mujtahidîn[15]Les juristes capables d’ijtihad. n’ont cessé d’exister. En réponse aux muqallidîn[16]Ceux qui appellent au Taqlid (le suivi aveugle). qui prétendaient qu’un consensus avait été atteint sur la fermeture de la porte de l’ijtihad et sur la non-existence des mujtahidîn, al-Shawkâni rétorque que pour arriver à un consensus, seuls les avis des mujtahidîn comptent. Or, ceux qui ont proclamé le consensus sur la fermeture de la porte — et donc sur l’extinction des mujtahidîn — se considèrent eux-mêmes comme des muqallidîn. Comment alors pouvoir prétendre que des mujtahidîn ont atteint un consensus sur la non-existence de mujtahidîn[17]Voir al-Shawkâni, « al-Badr al-Tâli’ bi Mahâsin man baʿd al-Qarn al-Sâbi’ ». ?
De manière similaire, le savant hanbalite Ibn ‘Aqîl (1040 – 1119) avançait que celui qui affirme que la porte de l’ijtihad est fermée ne l’a fait qu’en vertu de son propre ijtihad dans lequel il n’a pas été précédé par l’un des quatre imams. Comment cette personne peut-elle alors s’autoriser à émettre un jugement par ijtihad pour ensuite proclamer que son ijtihad est le dernier acceptable et que la porte est désormais fermée après elle ? Ibn ‘Aqîl conclut qu’il n’est pas possible qu’une époque soit dépourvue de mujtahidîn[18]Ibn ‘Aqîl, « Kitâb al-Funûn »..
DES CONDITIONS QUI MAINTIENNENT OUVERTE LA PORTE DE L’IJTIHAD
Il est vrai qu’à certaines périodes et dans certains lieux du monde musulman, les défenseurs du taqlid en firent une norme dominante à ne pas transgresser. Par conséquent, nous explique al-Shawkâni, toute tentative de revendiquer le droit à l’ijtihad était inévitablement accueillie par de la résistance, des condamnations, voire une diffamation publique. Les mujtahidîn peuvent donc sembler avoir disparu à cette époque. Or, si leur voix ne se faisait pas entendre, ce n’était nullement parce qu’ils n’étaient pas présents, mais parce que leur existence était menacée s’ils insistaient à revendiquer le droit à l’ijtihad[19]Al-Shawkâni, « al-Qawl al-Moufid fi Adilla al-Ijtihâd wa al-Taqlîd ».. La prétendue fermeture de la porte de l’ijtihad, affirme l’érudit yéménite, n’est qu’un des « signes de l’ignorance de ces muqallidîn aveugles » qui prétendent qu’après le XIIe ou XIIIe siècle, les mujtahidîn avaient cessé d’exister[20]Al-Shawkâni, « al-Badr al-Tâli’ biMahâsin man Ba’d al-Qarn al-Sabi’ ».. Al-Shawkâni considérait d’ailleurs cette forme de suivi aveugle comme un vice dont la charia avait été affligée.
D’autres encore ont défendu la fermeture de la porte de l’ijthâd après que certains se sont mis à dénaturer les jugements religieux, manipulant les textes sous couvert d’ijtihad. Or, les savants ont posé des conditions et des critères pour qu’un effort d’interprétation soit valide, ce qui empêche justement toute manipulation des textes :

Ceux qui ont émis une fatwa fermant la porte de l’ijtihad l’ont fait par crainte que des personnes incompétentes qui réclament le droit à l’ijtihad, mentent au nom d’Allah et déclarent licites ou illicites des actes sans preuve ni argument, dans le seul but de satisfaire les gouvernants […] Mais nous disons : l’affirmation de l’interdiction de l’ijtihad et de la fermeture complète de sa porte est en contradiction avec la lettre et l’esprit de la loi islamique. La position correcte est l’autorisation — voire l’obligation — de l’ijtihad pour quiconque remplit les conditions requises[21]Le mujtahid doit posséder la science nécessaire concernant la question dans laquelle il exerce l’ijtihad. Il faut qu’il connaisse les versets et les hadiths relatifs à cette question, qu’il … Continue reading, car la communauté a besoin de connaître les jugements de la charia sur des événements nouveaux, qui ne sont pas survenus dans les temps anciens.[22]« Al-Mawsû‘a al-Fiqhiyya » (1/42-43).
Les mujtahidîn n’émettent donc pas des fatwas selon leur opinion personnelle entrainant des situations chaotiques où chacun prétendra ce qu’il veut. Il existe des règles précises que le mujtahid doit respecter pour empêcher que son effort d’interprétation relève de la trahison[23]Voir, à titre d’exemple, « Dalil Boubakeur, La Fatwa Laïque Qui Supprime Le Voile Islamique ».. Dans ce cas de figure, les érudits musulmans n’ont pas fermé de manière générale la porte de l’ijtihad, mais ont plutôt conseillé ces individus en démontrant leur erreur et ont, si nécessaire, dévoilé leur manipulation. Ainsi, la porte de l’ijtihad pour émettre des jugements religieux demeure ouverte pour quiconque est qualifié et remplit les conditions requises[24]Voir « Fatâwa al-Ladjna al-Dâima » (5/17-18)..
CHERCHEURS OCCIDENTAUX ET FLEXIBILITE DE LA CHARIA
Aux États-Unis, de récents travaux sur l’histoire de la charia[25]Voir, entre autres, Wael Hallaq “Law and Legal Theory in Classical and Medieval Islam”, Haim Gerber “Islamic Law and Culture” et Baber Johansen, “Contingency in a Sacred Law”. ont remis en question la thèse de la porte fermée — défendue en Occident depuis au moins le début du XXe siècle — par laquelle les orientalistes prétendaient que la tradition juridique islamique était devenue figée après les premiers siècles formatifs[26]Talal Asad, « Formations of the Secular »..
Selon Talal Asad, la thèse de la porte fermée de l’ijtihad dans sa conception orientaliste reflète l’idée plus générale selon laquelle « la tradition » s’opposerait à « la modernité », comme l’inconscient et l’immuable s’opposent au raisonné et au changeant. Les orientalistes estimaient que la charia était trop rigide et statique nécessitant dès lors un changement. C’est en ouvrant la porte de l’ijtihad que la compréhension occidentale de l’islam allait pouvoir s’inviter pour mettre en place une réforme profonde. Or, estime Assad, ce changement argumenté par les orientalistes a toujours été important pour la charia dont « la flexibilité a été maintenue grâce à des mécanismes techniques tels que al-‘Urf (la coutume), la Maslaha (l’intérêt général) et al-Darura (la nécessité) »[27]Ibid.. Néanmoins il s’agit ici d’un changement qui respecte les principes islamiques, non pas du changement par substitution et dislocation prôné par les orientalistes.

Dans son ouvrage Law and Legal Theory in Classical and Medieval Islam, le professeur Wael Hallaq révèle que la thèse selon laquelle les portes de l’ijtihad se sont fermées après le VIIIe siècle est entièrement infondée. À travers une étude systématique et chronologique des sources juridiques islamiques, le chercheur Américo-palestinien montre avec précision que la porte de l’ijtihad n’a été fermée ni en théorie ni en pratique. À l’instar des érudits musulmans, il démontre que l’effort d’interprétation a toujours été indispensable dans la théorie juridique, car il constituait le seul moyen pour les juristes d’atteindre des avis juridiques. Pour chaque siècle, il cite les noms des mujtahidîn prouvant que l’ijtihad était non seulement pratiqué dans les faits, mais aussi que tous les groupes et individus qui s’y opposaient étaient finalement exclus du Sunnisme[28]Notamment des sectes comme les Hachwiyya qui appelaient au taqlîd et condamnaient le principe du qiyâs qui constitue l’un des piliers de l’ijtihad..
Hallaq démontre que tout au long de l’histoire islamique la pratique de l’ijtihad était l’objectif principal de la science du Usûl al-fiqh (les principes de la jurisprudence islamique)[29]Le fait que les sectes n’aient pas réussi à affaiblir ne serait-ce que partiellement les fondements de l’ijtihad est principalement dû à l’institutionnalisation de la science du Usûl … Continue reading. En examinant les écrits des juristes sur le sujet, il réfute l’hypothèse selon laquelle les portes de l’ijtihad auraient, en soi, pu être fermées. De plus, le chercheur chrétien rejoint les érudits musulmans pour affirmer que la notion de fermeture de la porte de l’ijtihad n’est apparue pour la première fois qu’au début du XIIe siècle et ne serait possible que par la disparition totale des érudits musulmans :
La disparition ou le manque de juristes bien formés peut donc être la seule raison de la fermeture de la porte de l’ijtihad. C’est précisément ainsi que les musulmans concevaient cette question. Ils croyaient que la disparition du savoir ne résulte pas de sa fin soudaine, mais coïncide avec la disparition des savants. Pour soutenir cette position, un hadith prophétique n’a cessé d’être invoqué : “Allah ne retirera pas le savoir en l’extrayant des cœurs des hommes, mais Il le retirera par la mort des savants au point où il ne restera plus de savants. Et lorsque tous les savants auront disparu, les gens prendront pour guides des ignorants, qui, lorsqu’interrogés, rendront des décisions sans disposer du savoir nécessaire. Ainsi, ils s’égareront et égareront les autres[30]Rapporté par Boukhari et Mouslim dans leur Sahih.”.[31]Wael Hallaq, « Law and Legal Theory in Classical and Medieval Islam ».
LES « MUJTAHIDIN » DE L’ONU
En Occident et notamment en France, l’appel à la réouverture de la porte de l’ijtihad vise aujourd’hui à légitimer des mesures et politiques qui réduisent les droits fondamentaux de la minorité musulmane. Or, à l’échelle internationale, l’Organisation des Nations Unies s’y réfère pour séculariser le monde arabe en imposant parfois un ijtihad qui lui est propre.
Professeur à la Columbia University de New York, Joseph Massad[32]Tout comme Edward Said et Wael Hallaq, Joseph Massad est un Palestinien chrétien. a mené une étude approfondie[33]Joseph A. Massad, « Islam in Liberalism ». sur le rapport onusien du développement humain dans le monde arabe (Arab Human Development Report) qui est issu du « Programme des Nations Unies pour le développement »[34] The United Nations Development Program (UNDP).. Le rapport en question explique que pour transformer le monde arabe en « société de savoir », il doit « s’ouvrir aux cultures et civilisations non arabes » qui « contribueront à de nouvelles valeurs, à de nouvelles façons de penser et à de nouvelles formes d’émancipation ». Plutôt que de se réapproprier leur patrimoine intellectuel, les Arabes doivent adopter une culture extérieure pour accéder au monde civilisé. Le rapport appelle à multiplier et mobiliser les traductions d’ouvrages occidentaux « pour enrichir l’état d’esprit des individus arabes et accroître les références intellectuelles et culturelles de leur société »[35]« United Nations Development Program, Arab Human Development Report 2003: Building a Knowledge Society, New York: UNDP, 2003. »..
Massad démontre que, en plus de légitimer l’économie néolibérale en des termes islamiques, le rapport intervient dans les questions théologiques et juridiques en préparant les sociétés arabes à l’ordre néolibéral. Pour cela, le rapport de l’ONU appelle à rouvrir les portes de l’interprétation :
Parce que les dynamiques de transformation dans les sociétés arabes contemporaines sont différentes de celles des sociétés arabes au moment où les écoles juridiques ont été établies, les efforts antérieurs ne sont plus adaptés ni à la nature ni au rythme des transformations sociales actuelles. Il est au contraire légitime de tenter d’ouvrir à nouveau les portes de l’interprétation et de chercher à approfondir la compréhension de l’esprit du texte coranique, afin de produire des textes juridiques fondés sur des valeurs d’égalité.[36]Ibid.

Ici, les auteurs du rapport de l’ONU se réfèrent à une thèse orientaliste pour imposer leur propre ijtihad et ainsi contourner quatorze siècles de transmission de savoir. Ils invitent les Arabes à renverser les autorités religieuses existantes en tant que gardiennes de l’interprétation théologique et à créer de nouvelles autorités qui soutiennent des « normes internationales » (c.-à-d. occidentales et libérales).
Le rapport accorde une importance centrale à l’islam et à sa transformation théologique et souhaite intervenir activement dans les questions religieuses. Au nom de la sécularité, ces « mujtahidîn de l’ONU » appellent explicitement à des reformulations et à des interventions théologiques[37]Le rapport estime que sa réforme prévue de « l’islam » remettra en question les compréhensions actuelles de la religion et en renforcera de nouvelles. Pour ce faire, le rapport propose sa … Continue reading qui visent à « transformer les mentalités et les cadres culturels ». L’objectif est de « moderniser l’interprétation religieuse et la jurisprudence » par l’adoption généralisée de « lectures éclairées de l’ijtihad »[38]« United Nations Development Program, Arab Human Development Report 2003: Building a Knowledge Society, New York: UNDP, 2003. »..
SAPER LE CONSENSUS DES ERUDITS
Contrairement aux autres religions, les textes révélés de l’islam ont été préservés à travers le temps. Cette conservation des textes a facilité la sauvegarde de leur compréhension correcte que les savants ont héritée et transmise de génération en génération. Quant aux versets qui sont soumis à l’interprétation, le Coran est explicite quant à la méthodologie à adopter pour atteindre une bonne compréhension[39]« C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets sans équivoque, qui sont la base du Livre, et d’autres versets qui peuvent prêter à … Continue reading). Les orientalistes, « islamologues des Lumières » et « Muftis de l’ONU » ignorent cette méthodologie en négligeant les versets sans équivoque pour ensuite dénaturer les versets qui sont sujets à interprétation.

Dans leurs recherches, ils expriment un mécontentement contre les musulmans « trop littéralistes » qui refusent de se soumettre à leur vision colonialiste de l’islam. Conscients qu’une demande d’abolition explicite des principes religieux sera vigoureusement rejetée par l’indigène musulman, ils préfèrent transformer l’islam en idéologie parfaitement compatible avec l’idéologie dominante sous couvert d’un ijtihad à outrance qui ne respecte aucunement ses critères.
Si les orientalistes et leurs héritiers se sont investis dans le domaine de l’ijtihad, ce n’est nullement pour rouvrir une porte qui aurait été fermée dans un passé lointain, mais pour saper les fondements de la religion musulmane sur lequel il y a un consensus (ijmâ’). En effet, les questions qui reposent sur un consensus ne tombent pas sous l’effort d’interprétation des érudits. C’est d’ailleurs ainsi que la religion musulmane a été protégée contre les fausses interprétations, déformations et falsifications qui ont surgi périodiquement durant plus de quatorze siècles.
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Nos frères et sœurs à Gaza subissent actuellement un génocide rendu possible, soutenu et financé par un grand nombre de pays occidentaux. Ne les oublions pas dans nos invocations.
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Références
| ↑1 | Le Hadith en question a étéjugé authentique par Sheikh al-Albani dans « Al-Silsilatul as-Sahîha » (2487). |
|---|---|
| ↑2 | Apres une discussion qui se portait sur trois ambiguïtés clées des Khawarij, 4000 parmi les 6000 Khawarij sont revenus à la compréhension des Compagnons. |
| ↑3 | Une définition précise de l’ijtihad (l’effort d’interprétation) est la suivante : « L’ijtihad consiste en l’effort fourni par le juriste pour parvenir à une règle de droit religieux fondée sur la probabilité (NDT c’est à dire pour lequel il n’y a pas de texte explicite). » Al-Mawsû‘a al-Fiqhiyya, 1/18-19 |
| ↑4 | Cette appellation dénigrante sous-entend que l’islam du Prophète ﷺ était un islam des ténèbres ayant besoin des idées françaises du XVIIe siècle pour être illuminé. |
| ↑5 | Le rapport complotiste « Frères Musulmans et Islamisme Politique en France » déplore ainsi que « l’islam des lumières » et les « nouveaux penseurs de l’islam » peinent à se trouver un chemin chez les français de confession musulmane. |
| ↑6 | Voir Wael Hallaq, « Law and Legal Theory in Classical and Medieval Islam ». |
| ↑7 | Connu pour avoir continué la propagande mensongère des orientalistes Goldziher et Hurgronje, Joseph Schacht estimait que la majorité des hadiths avaient été inventés après l’an 720. |
| ↑8 | Le suivi aveugle de l’autorité juridique, à ne pas confondre avec al-Ittibâ’ des Compagnons du Prophète ﷺ. |
| ↑9 | Joseph Schacht, « An Introduction to Islamic Law ». |
| ↑10 | J.N.D. Anderson, « Law Reform in the Muslim World ». |
| ↑11 | H.A.R. Gibb, « Modern Trends in Islam ». |
| ↑12 | Les voix les plus connues étaient Shah Wali Allah, al-Amîr al-San’âni, Ibn ‘Abd al-Wahhâb, al-Shawkâni et Ibn ‘Ali al-Sanousi. |
| ↑13 | Jalâl al-Dîn al-Suyûti, « al- Tahadduth bi N’ima Allah ». |
| ↑14 | « Al-Badr al-Tâli’ bi Mahâsin man baʿd al-Qarn al-Sâbi’ ». |
| ↑15 | Les juristes capables d’ijtihad. |
| ↑16 | Ceux qui appellent au Taqlid (le suivi aveugle). |
| ↑17 | Voir al-Shawkâni, « al-Badr al-Tâli’ bi Mahâsin man baʿd al-Qarn al-Sâbi’ ». |
| ↑18 | Ibn ‘Aqîl, « Kitâb al-Funûn ». |
| ↑19 | Al-Shawkâni, « al-Qawl al-Moufid fi Adilla al-Ijtihâd wa al-Taqlîd ». |
| ↑20 | Al-Shawkâni, « al-Badr al-Tâli’ biMahâsin man Ba’d al-Qarn al-Sabi’ ». |
| ↑21 | Le mujtahid doit posséder la science nécessaire concernant la question dans laquelle il exerce l’ijtihad. Il faut qu’il connaisse les versets et les hadiths relatifs à cette question, qu’il soit capable de les comprendre et de les utiliser comme preuves pour parvenir à ce qu’il cherche, qu’il connaisse le degré d’authenticité des hadiths qu’il utilise comme preuves, ainsi que les cas de consensus (ijmâ‘) sur les questions qu’il étudie afin de ne pas contredire le consensus des musulmans dans son jugement. Il faut également qu’il ait une connaissance suffisante de la langue arabe lui permettant de comprendre les textes pour se guider par les preuves religieuses, puis par les propos des savants, leur analyse des textes, leur méthode d’argumentation et de déduction. |
| ↑22 | « Al-Mawsû‘a al-Fiqhiyya » (1/42-43). |
| ↑23 | Voir, à titre d’exemple, « Dalil Boubakeur, La Fatwa Laïque Qui Supprime Le Voile Islamique ». |
| ↑24 | Voir « Fatâwa al-Ladjna al-Dâima » (5/17-18). |
| ↑25 | Voir, entre autres, Wael Hallaq “Law and Legal Theory in Classical and Medieval Islam”, Haim Gerber “Islamic Law and Culture” et Baber Johansen, “Contingency in a Sacred Law”. |
| ↑26 | Talal Asad, « Formations of the Secular ». |
| ↑27 | Ibid. |
| ↑28 | Notamment des sectes comme les Hachwiyya qui appelaient au taqlîd et condamnaient le principe du qiyâs qui constitue l’un des piliers de l’ijtihad. |
| ↑29 | Le fait que les sectes n’aient pas réussi à affaiblir ne serait-ce que partiellement les fondements de l’ijtihad est principalement dû à l’institutionnalisation de la science du Usûl al-fiqh, dont l’ijtihad était un élément indispensable. Il est d’ailleurs difficile de supposer qu’au moment où la théorie de Usûl al-fiqh fut finalisée (vers le début du Xe siècle) les musulmans aient décidé de « fermer la porte de l’ijtihad » (voir Wael Hallaq, « Law and Legal Theory in Classical and Medieval Islam »). |
| ↑30 | Rapporté par Boukhari et Mouslim dans leur Sahih. |
| ↑31 | Wael Hallaq, « Law and Legal Theory in Classical and Medieval Islam ». |
| ↑32 | Tout comme Edward Said et Wael Hallaq, Joseph Massad est un Palestinien chrétien. |
| ↑33 | Joseph A. Massad, « Islam in Liberalism ». |
| ↑34 | The United Nations Development Program (UNDP). |
| ↑35 | « United Nations Development Program, Arab Human Development Report 2003: Building a Knowledge Society, New York: UNDP, 2003. ». |
| ↑36 | Ibid. |
| ↑37 | Le rapport estime que sa réforme prévue de « l’islam » remettra en question les compréhensions actuelles de la religion et en renforcera de nouvelles. Pour ce faire, le rapport propose sa propre interprétation du Coran. Il discute et résume des versets coraniques et propose de prioriser certains versets à d’autres qui, selon ses auteurs, seraient secondaires. |
| ↑38 | « United Nations Development Program, Arab Human Development Report 2003: Building a Knowledge Society, New York: UNDP, 2003. ». |
| ↑39 | « C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets sans équivoque, qui sont la base du Livre, et d’autres versets qui peuvent prêter à d’interprétations diverses. Les gens, donc, qui ont au cœur une inclinaison vers l’égarement, mettent l’accent sur les versets à équivoque, cherchant la dissension en essayant de leur trouver une interprétation, alors que nul n’en connaît l’interprétation, à part Allah. Mais ceux qui sont bien enracinés dans la science disent : « Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur! » » (Âl-Imrân, 7 |

2 commentaires
Assalâmo’alaykoum.
Une erreur s’est glissée dans la phrase ci-dessous, vous avez écrit « pu » au lieu de « pouvoir » :
C’est en ouvrant la porte de l’ijtihad que la compréhension occidentale de l’islam allait pu s’inviter pour mettre en place une réforme profonde.
Wa aleikoum assalaam wa rahmatullah
Baarakallahu fikoum