Le projet de la sécularisation du monde musulman avait été détaillé par des administrateurs coloniaux comme Evelyn Baring (Earl Cromer, 1841–1917), le Consul général britannique en Égypte occupée. Dans son ouvrage Modern Egypt (1916), il décrit sept étapes pour réformer le monde musulman par voie d’occidentalisation.
Tout d’abord, l’Occident devait cesser de tolérer les gouvernements islamiques. Selon Baring, il « serait absurde de supposer que l’Europe pourrait encore tolérer un gouvernement fondé sur des principes purement mahométans ou sur des idées orientales obsolètes». Il fallait en finir avec l’aspect gouvernemental de l’islam, qui contenait « une idéologie qui refusait de se soumettre à l’autorité européenne ». Ce fut, toujours selon Baring, un moyen de séculariser l’islam (plutôt que de le détruire dans sa totalité), et de le rendre compatible avec la civilisation occidentale.
Deuxièmement, les musulmans devaient être «forcés de s’imprégner du véritable esprit de la civilisation occidentale». Ils devaient adopter les valeurs du monde occidental et rejeter les leurs.
Pour concrétiser ce point, Baring voulait effacer des esprits du peuple égyptien leur passé, leur culture et leur religion.
Lors de la troisième étape, il fallait introduire l’occidentalisation sous couvert de droits des femmes. Baring estimait que la « position des femmes dans les pays musulmans était un obstacle insurmontable à l’introduction des valeurs coloniales ». Il fallait tout mettre en œuvre pour dévoiler et dévergonder la femme musulmane, afin qu’on ne puisse plus la distinguer de la femme occidentale par sa pudeur.
La quatrième étape visait à éduquer et à former une classe de jeunes «musulmans laïques» pour devenir les futurs dirigeants. Le premier pas vers la civilisation était de convaincre la jeunesse musulmane qu’elle était inférieure aux Occidentaux. Une fois convaincus qu’ils étaient incultes, ils pouvaient être «éduqués» à nouveau. Ayant «admis» le fait qu’ils avaient besoin d’aide par le biais d’un enseignement occidental, ils voudraient maintenant inévitablement devenir des « Occidentaux ».
Baring espérait qu’en implantant un système d’éducation européanisée, les Égyptiens allaient «se débarrasser de leur islamisme», qu’ils n’allaient plus croire «qu’ils sont constamment sous la surveillance du Créateur», et qu’ils allaient uniquement s’accrocher « aux aspects banals de leur religion pour des raisons de commodité et de confort ».
Dans la cinquième étape, l’Occident devait réformer l’islam. Pour Baring, l’objectif était de créer des «musulmans désislamisés», de façon à ce que les gens ne soient musulmans que de nom, bien qu’en réalité ils étaient « agnostiques ». Baring était bien conscient que cette nouvelle forme d’islam n’aurait plus rien à voir avec l’islam : « Après tout, l’islam ne peut être réformé. L’islam réformé n’est plus l’islam ».
Cela aboutirait alors à la sixième étape au cours de laquelle le «réformateur musulman» détesterait les sciences et connaissances islamiques, plus que ne les détestaient les Européens. Le musulman occidentalisé n’aura plus le moindre respect pour ses ulémas, et les considérera comme des «vagabonds de la société» qu’il utiliserait uniquement à son avantage.
Durant la septième étape, les musulmans «modernisés» deviendront des déistes qui admettent l’existence d’une divinité, mais rejettent les dogmes et la religion. Dans leur esprit, ils seront convaincus qu’ils devraient à tout prix parcourir le même chemin et vivre la même histoire que les Européens. Pour atteindre un «idéal intellectuel plus vertueux», l’égyptien européanisé devra «délaisser une grande partie de son héritage islamique » :
Il est très concevable qu’au fil du temps, les musulmans développent une religion, qui prendra la forme d’un véritable déisme qui ne sera plus l’islamisme du passé ni celui du présent. Ils rejetteront une grande partie des enseignements de Mahomet, mais établiront un code moral suffisamment élevé pour maintenir un contrat social où les musulmans sont uniquement liés par un intérêt qui est totalement individuel.[1]Evelyn Baring, « Modern Egypt » (1916).
Le projet réformateur des colonialistes visait en premier lieu à saper l’autorité des ulémas et à massacrer tout érudit contestataire. L’enseignement islamique devait être aboli, et l’idéologie séculière diffusée dans de nouvelles institutions humanistes et laïques. Une fois les musulmans suffisamment aliénés des principes fondamentaux de leur religion, il ne restait plus qu’à importer des constitutions occidentales et à mettre au pouvoir des dictateurs séculiers.
La réforme que les élites françaises souhaitent aujourd’hui organiser en France n’est donc pas nouvelle. Elle a commencé comme une stratégie dans le projet colonial conçu par des administrateurs coloniaux, comme Evelyn Baring et Snouck Hugronje [2]Voir Kareem El Hidjaazi, « Snouck Hurgronje, Architecte de l’Islam colonial ».. Le processus en sept étapes de Baring est actuellement toujours appliqué sur la communauté musulmane en Occident. Les «réformateurs musulmans», les «féministes musulmanes», les «musulmans modérés et progressistes» ainsi que les «musulmans libéraux» sont tous des produits dérivés et générés par la colonisation…
Extrait de « ‘Nègres’ et ‘islamistes’, les convergences d’une lutte culturelle.»
« Nègres » & « islamist… by Kareem El Hidjaazi
Références
↑1 | Evelyn Baring, « Modern Egypt » (1916). |
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↑2 | Voir Kareem El Hidjaazi, « Snouck Hurgronje, Architecte de l’Islam colonial ». |
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