En mars 1919 éclate la révolution égyptienne contre l’occupant britannique. L’armée anglaise tue au moins 800 Égyptiens, brûle un grand nombre de villages et détruit les chemins de fer. La révolution s’intensifie et Douglas Dunlop se voit contraint de résigner ses fonctions de conseiller. Quelques mois plus tard, il se sauve du pays où il a perturbé l’éducation égyptienne depuis sa racine.
Saad Zaghlul, le ministre égyptien de l’Éducation qui jusque-là fut une marionnette des autorités britanniques, se place à la tête du mouvement nationaliste et commence par arabiser la langue d’instruction dans les écoles égyptiennes. Mais peu saisirent qu’en réalité il ne faisait qu’arabiser le système d’éducation colonial.
Les nationalistes font d’énormes progrès et leurs initiatives mènent à la Déclaration du 28 février 1922 qui reconnaît l’Égypte comme un état indépendant. En 1923 le gouvernement ratifie une nouvelle constitution qui n’est qu’un calque du système parlementaire occidental. En 1924, les élections sont instaurées et le pays devient une République populaire à l’image de certains Etats communistes de l’époque.
La même année, les rapports d’ordre administratif ainsi que les communiqués gouvernementaux, qui ne se faisaient qu’en anglais, furent à nouveau publiés en arabe. Zaghlul va ainsi réinstituer la langue arabedans l’administration gouvernementale… qui fut bien sûr britannique.
La langue arabe a certes été réintroduite, mais le système de gouvernance et d’éducation est resté celui de l’occupant. L’arabisation des structures présentes en 1919 constitua en quelque sorte une approbation non officielle du procès de réforme coloniale. Le nationalisme arabe n’a donné qu’un faux semblant de liberté dans lequel le fond n’a jamais suivi la forme. Le peuple égyptien n’a pas pu retourner à son état initial, car le colon l’avait rendu quasi analphabète dans sa propre langue et lui avait fait oublier quel était ce passé auquel il aurait été en mesure de se référer.
Mahmoud Shakir résume merveilleusement comment le « système Dunlop » fut un outil indispensable pour consolider un long projet de colonisation :
Le monde s’est clairement divisé en deux camps : le monde des puissants et riches s’oppose au monde des faibles et pauvres. Le monde des envahisseurs est représenté par la civilisation européenne qui veut effectuer une transformation sociale, culturelle et politique dans le monde des peuples affaiblis… Ce (la colonisation) fut une chasse fructueuse par laquelle ils (les colons) étendirent leur civilisation par tous les moyens possibles : la force, l’autorité, l’argent et la contrainte. L’unique objectif était de subjuguer le monde “arriéré” dans sa totalité pour servir les besoins insatiables du monde “civilisé”. Cette hégémonie politique qui s’est aujourd’hui ramifiée a commencé en Égypte, au cœur même du monde islamique et arabe avec les pionniers de l’époque de Mohammed Ali jusqu’à l’occupation en 1882 par les Anglais qui prirent directement contrôle de toutes les affaires du pays et plus particulièrement de l’éducation. Et puis, le 17 mars 1897, Dunlop débarqua dans le pays. Il instaura dans notre communauté un système éducatif destructif que nous suivons malheureusement jusqu’à ce jour. [1]Mahmoud Shâkir, « Risâla Fi al-Tarîq ila Thaqâfatina »
Aujourd’hui, de plus en plus d’Égyptiens reconnaissent que l’échec de l’enseignement égyptien est avant tout dû au système de Dunlop qui introduisit un programme européen nullement adapté au contexte égyptien. Ils voient enfin Evelyn Baring pour ce qu’il était : un charlatan qui fit régresser le développement social et qui détruisit le système scolaire en abaissant le niveau d’étude déjà affaibli par les Français. Ignorant la richesse de leur passé et démunis de leur culture ancestrale, ils n’ont à présent plus d’alternatives à présenter. La seule chose qu’ils sont encore capables de faire est de continuer à chercher un progrès imaginaire en copiant l’Occident qui leur a appris à agir par mimétisme.
La description des efforts titanesques qui furent déployés pour déraciner les enfants musulmans de leurs croyances et traditions musulmanes déconstruit le mythe d’un échange culturel qui se serait fait de façon naturelle entre l’Orient et l’Occident. Après avoir passé trente ans en Égypte, Dunlop et Baring n’ont jamais fait l’effort d’apprendre l’arabe ou de s’adapter aux coutumes locales. Il n’y a jamais eu d’échange, il n’y a eu que de l’oppression, de l’exploitation outrancière et de la haghra. Comment peut-on d’ailleurs s’attendre à ce qu’un occupant présomptueux de par son statut échange quoi que ce soit avec un peuple qu’il considère être semi-sauvage ?
L’abolition de l’enseignement islamique par le colon occidental fut l’un des vecteurs capitaux de l’ethnocide qui a démantelé l’identité culturelle chez une grande partie de la masse musulmane. Que ce soit en Afrique, en Asie ou au Moyen-Orient, les pays colonisés n’ont jamais connu de développement durable et sa jeunesse a été incapable d’exploiter ses talents.
Les colons ont expérimenté leurs plans sur plusieurs générations d’écoliers qui ont été dévastées à cause du narcissisme culturel de puissances racistes qui se concurrençaient. Et tout ça, pourquoi ? Pour quel résultat ? Pour quel progrès ? Aucun. Aujourd’hui, la grande majorité du peuple égyptien ne parle ni français, ni l’anglais, ni même l’arabe (fosha) de façon correcte. La seule chose qu’ils ont appris est de suivre l’Occident dans toute chose et de se rattacher à tout ce que les Occidentaux leur jettent aux pieds. Voici les accomplissements remarquables de la réforme coloniale de leur enseignement, voici comment l’Européen, avec tout son orgueil et sa prétention vaniteuse, a civilisé le peuple égyptien…
L’étude historique nous apprend que de nombreux musulmans d’Occident sont tombés victimes d’une double colonisation. Dû à la première colonisation (externe) que subirent leurs ancêtres, ils n’ont pas hérité du patrimoine socioculturel et religieux, puisque – évidemment – une fois perdu, il devient impossible de la transmettre aux générations à venir. Quand à la seconde colonisation (interne), elle les empêche aujourd’hui de revenir à leurs origines et de se réapproprier leur identité. Leur société de « liberté, égalité, fraternité » met tout en œuvre pour prévenir l’apparition d’une nouvelle génération de musulmans conscients et cultivés, bien éduqués islamiquement et fiers d’être qui ils sont. Cela ne se dira jamais de manière explicite, mais les dirigeants français et belges préfèrent voir « le musulman de chez eux » comme il fut modelé à l’ère coloniale ; comme une copie ratée de l’homme occidental.
Dans les quatre coins du monde, les services de renseignements, avec l’aide des néo-orientalistes, guettent les musulmans qui désirent reconstruire leurs sociétés par l’enseignement islamique et par un retour à la pratique de la tradition prophétique. Qu’ils soient accusés de « radicalisme » les laisse entièrement indifférents, dès lors qu’ils ont retrouvé une culture, une identité et une dignité qui semblaient à jamais effacées. En éduquant les futures générations, ils sèment les graines pour demain et refusent d’être des « enfants de la colonisation ». Ils rétablissent l’enseignement de leur religion avec tout ce qu’il contient et reprennent ainsi possession de l’héritage dont ils ont été dépouillés.
Aujourd’hui, les musulmans cultivés comprennent que ce sont les Arabes, les Africains, les Amérindiens et les Asiatiques qui, au long des différentes occupations coloniales, ont dû porter le terrible fardeau qu’était l’Occident. Non l’inverse. Ils savent aussi qu’il est impossible de défaire plusieurs siècles de colonisation en quelques années. C’est pour cela qu’ils commencent par reconstruire ce qui a été détruit en eux, chez eux et autour d’eux, perturbant par-là le statu quo postcolonial qui arrange si bien l’Occident…
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Douglas Dunlop, les ravages… by Kareem El Hidjaazi
Références
↑1 | Mahmoud Shâkir, « Risâla Fi al-Tarîq ila Thaqâfatina » |
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